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le sort qui a frappé les cèdres du Liban et de la Kabylie épargnerait-il ceux-ci ? Pourquoi les forêts de là-bas vont-elles à une mort inévitable ? N’y a-t-il pas une opposition mystérieuse entre la vie de ces arbres d’un autre âge et notre propre vie ? On dirait qu’ils ne peuvent subsister qu’en pleine liberté, au milieu de solitudes quasi vierges, dans lesquelles n’habite qu’une humanité primitive. L’administration de nos bois triomphera-t-elle de cette humeur, de ce dégoût, évident chez ces arbres, pour notre civilisation ? Continueront-ils de se reproduire et de vivre quand nous serons installés parmi eux, ou bien se laisseront-ils aller à leur penchant naturel vers le renoncement et la mort ?...

Soudain, des coups de feu. Une fusillade enragée. Des flammes qui sortent du canon des fusils et s’éteignent aussitôt. Une troupe de burnous flottants enveloppe nos automobiles dans un tourbillon de chevaux. Ce sont les goumiers du poste et les partisans indigènes venus pour rendre les honneurs. Devant nous surgit de la plaine un cône volcanique, comme nous en avons deviné d’autres déjà dans le brouillard. Par des lacets rapides nos voitures l’escaladent, toujours suivies, précédées, entourées des cavaliers fantômes, qui, sans s’embarrasser du chemin et toujours déchargeant leurs armes, font l’assaut du cratère au milieu des cailloux qui roulent, des moutons et des chèvres qui regagnent le douar installé sous la protection du poste, et qui s’affolent et fuient de tous côtés, des ânes, des mulets chargés de madriers ou d’approvisionnements pour les troupes, et qui se débandent et se mêlent à cette fantasia sous la pluie. C’est une vraie ballade du Nord, l’assaut dans les nuages. Une balle siffle à nos oreilles. Sans doute parmi ces partisans qui font parler la poudre, tout le monde n’est pas également satisfait de notre présence ici... Puis, un coup de clairon, une gaie sonnerie, un réseau de fil de fer barbelé, une porte, des baïonnettes. Nous sommes au sommet du volcan, dans le poste de Timhadit.


II. — UN POSTE DE L’ATLAS

Ce poste de Timhadit se dresse en plein pays hostile, au milieu de ces Berbères de l’Atlas passionnés d’indépendance, et qui sont, à leur manière, d’une essence aussi primitive,