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épuisantes dans les neiges, les boues de l’hiver, sous l’effrayant soleil d’été ; des jours torrides, des nuits glacées sous la petite tente ou des abris de fortune ; des vivres souvent avariés et qui n’arrivent toujours qu’avec parcimonie, en quantités strictement mesurées par suite de la lenteur et de la difficulté des convois ; les fièvres, la dysenterie, un climat excessif où la fatigue devient aisément mortelle ; le morne ennui particulier à ces pays dépourvus de tous les aspects de la vie que nous aimons chez nous ; l’isolement entre ces petits murs d’où on ne peut sortir sans risquer un coup de fusil ; l’exil dans ces endroits écartés où l’on reste des semaines, quelquefois plusieurs mois, séparé du reste du monde, sans une nouvelle, sans une lettre, lorsque le mauvais temps rend la piste impraticable, ou qu’un « salopard » aux aguets a assassiné le courrier. Et par-dessus tout cela, le vague sentiment amer qu’au milieu de la grande rumeur du front de France, tout cet effort ingrat est un peu oublié ou méconnu...


C’est pourtant une dure et belle histoire », cette conquête du Maroc en pleine guerre européenne, avec des forces considérablement diminuées ! Dès les premières semaines du mois d’août 1914, on avait dû embarquer pour la France la moitié des troupes d’occupation. Les bataillons d’Afrique avaient été vidés de leurs meilleures unités. Il ne restait, en fait de Légionnaires, que des Allemands, des Autrichiens, des Hongrois, et la proximité de la zone espagnole favorisait les désertions. Les régiments de vieux Sénégalais aguerris se battaient dans les Flandres. Les jeunes ne les remplaçaient point, — le soldat noir ne s’improvise pas comme le soldat européen, voire algérien ou marocain, — et ces recrues ne composaient qu’une troupe médiocre en face d’un adversaire de la valeur des Berbères.

Avec ces pauvres éléments, ces Légionnaires, allemands pour la plupart, ces soldats noirs improvisés, quelques bataillons de tirailleurs algériens, des coloniaux us(Ss par des fatigues excessives, et quelques régiments de territoriaux du Midi, il a fallu tenir cet immense front de l’Atlas, donner sans cesse l’impression de la force à des gens belliqueux naturellement inclinés à prendre pour de la faiblesse toute inaction prolongée, et en dépit de notre désir de recourir surtout à des moyens pacifiques, nous montrer d’autant plus entreprenants que nous