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suspend celui-là, plus encombrant qu’utile (si perfectionné qu’il soit), comme on suspend à la muraille sa canne ou son parapluie. Devant les vitres, mêlés aux éclairs de l’orage, passent les longs sillons violets de la télégraphie sans fil... Et l’odeur de la fumée qui, mieux que ma course rapide, me fait entrer dans la forêt et le mystère de ses cantons perdus où personne encore n’a mis le pied ; ces croix sur ces tapis (qui sont peut-être un souvenir du temps où le Christianisme avait pénétré ces montagnes, et qui, à travers les âges, ont conservé la valeur d’un talisman) ; ce bras inerte qui travaille ici, comme le bras vivant a travaillé sur la Somme et à Verdun, et qui relie l’obscur combat qu’on mène dans cette montagne à la grande lutte de France ; ces étincelles bleues, ces mots, ces pensées, ces ordres envoyés par delà des lieues de solitude et de silence, cette électricité docile, si étrange au sommet de ce cratère qui, dans la nuit des temps, éclairait l’immensité de son incendie sauvage, — tout cela remplit cette chambre d’une rare poésie, sur laquelle flotte, inexprimable, inexprimé, et cependant partout présent, le sentiment de la montagne hostile.


III. — HALLALI DANS LA MONTAGNE

Nous voici lancés de nouveau à travers la brume et la pluie dans le paysage indéchiffrable de lave et de volcans éteints. Sur les hauteurs dénudées ou sous les branches retombantes des cèdres, brillent les feux allumés par les patrouilles chargées de surveiller tout un pays hostile, où des regards invisibles épient le passage de nos voitures au milieu de ces déserts qui, jusqu’aujourd’hui, n’avaient jamais vu passer que des tentes et des troupeaux. D’un ciel livide s’échappent çà et là de grands éclats de lumière argentée. Et nous allons de cirque en cirque, de défile en défilé, contournant un monticule, franchissant un pli de terrain, pour retrouver toujours les mêmes dépressions glissantes et pierreuses, la même tristesse, les mêmes feux, la même solitude avec son double rang de cailloux, et au bord de la piste toujours ces petits buissons d’hommes qui protègent notre passage et rendent les honneurs sous la pluie.

En vérité, ce n’est pas un chemin, c’est une pensée que nous suivons derrière l’auto du général qui file devant nous. dérape, fait de grandes embardées, mais va toujours son train ;