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C’était bien pour cela qu’on s’était battu. Car ce que nous voyions n’était que l’épilogue naturel d’un drame affreux. Le « phénomène historique » dont je parlais au début de cette étude s’en éclaire et en devient normal. J’ai dit que, de l’heure où l’Europe avait laissé se créer l’effroyable déni de justice de Francfort, la boîte était ouverte d’où mille maux s’allaient envoler sur le monde. Qu’en plein XIXe siècle, deux provinces fussent, manifestement contre leur gré, arrachées à une nation aimée, saisies par une nation détestée et par elle, de force, incorporées, le crime était immense et ne se pouvait prescrire. La paix armée sortit du traité de Francfort et de la paix armée devait fatalement un jour jaillir la guerre la plus atroce. En vain la France avait refoulé au profond de son cœur blessé, sinon les désirs de revanche, du moins l’ambition de les faire prévaloir aux dépens de la paix du monde : le crime criait plus fort que les cœurs des Français les plus fidèles. Il criait justice et justice devait se faire.

L’Alsace et la Lorraine, cruellement lésées, longtemps avaient prêté à la revendication la voix de leurs représentants. Elles avaient un instant semblé se taire et on en avait, de tous les côtés, induit bien légèrement qu’elles oubliaient ou du moins se résignaient. Elles n’oubliaient ni ne se résignaient. Une troisième génération s’élevait qui, ayant étudié l’Allemand, l’avait, toute question de droit mise à part, jugé indigne de dominer les esprits, incapable de satisfaire les cœurs. Depuis 1910 à peu près, le pays qui nous avait, parfois dans le secret de son âme, attendus depuis quarante ans, nous appelait sans cris inutiles, mais avec la sombre volonté de se libérer. Chez ceux-là seuls qui abordaient, en 1918, l’Alsace et la Lorraine pour la première fois, l’étonnement fut profond ; pour nous qui étions, depuis quinze ans, les pèlerins de Metz, Strasbourg, Colmar, Mulhouse, il n’y eut pas étonnement : il y eut seulement l’émotion intense devant un rêve qui, caressé toujours, enfin se réalisait dans sa plénitude.

A la vérité, la réalité revêtait un caractère si beau, que le rêve même restait inférieur à cette réalité magnifique. C’est que, restées fidèles à la Mère Patrie, les provinces venaient, depuis quatre ans, de subir la plus effroyable oppression. J’ai