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autre orgueil. Quel peuple aura constaté chez ses fils pareille fidélité ? J’ai répété ce mot qui me fut dit par un général anglais à Strasbourg : « C’est tout de même pour les Français une grande gloire, cet amour, après un demi-siècle : vous êtes une nation enviable. » Le mot est juste : nation enviable, puisque, après un demi-siècle, parfois un siècle, parfois sept siècles, ceux qui ont, des rives au Saint-Laurent aux pentes du Liban syrien, de la mer des Antilles aux bords du Rhin, connu sa tutelle et vécu sous ses enseignes, lui conservent, avec la fidélité du souvenir, un amour toujours prêt à se réveiller, si jamais il sommeille. Que, quarante-huit ans, des hommes aient pu résister aux menaces et aux séductions et parce qu’on les avait contre leur gré courbés sous le joug, aient juré de garder leur âme droite, debout sous ce joug qu’ainsi ils ne cesseraient de rendre instable, l’humanité entière se peut enorgueillir. « Cela, me disait encore, on se le rappelle, mon interlocuteur anglais, cela donne beaucoup d’orgueil d’être homme. » Mais que devait ressentir la France en face de cette fille qui se jetait, souriant et pleurant, dans ses bras. La plus belle des victoires s’affirmait là : cette de notre race contre l’autre, et l’âme s’en emplissait d’une ivresse voluptueuse.

Ainsi s’explique le « phénomène historique » que nous avons vu se produire sous nos yeux : phénomène dans le sens que la science, et non le vulgaire, donne au mot ; parce qu’il se manifestait avec une grandeur imprévue et dans sa plénitude, il avait pu, à certaines heures, paraître, — j’ai peut-être moi-même trop répété le mot, — une sorte de miracle ; mais, dans la réalité, il était le résultat logique et implacable d’une situation qui restait, depuis le 10 mai 1871, au rebours de la vérité, de la justice et du bon sens. On ne scelle dans un tombeau que les morts : dans le sien, l’Alsace-Lorraine était restée vivante ; rejetant la pierre que nos victoires lentement avaient descellée, l’Alsace-Lorraine n’avait pas à ressusciter ; courant vers la France, elle affirmait que, restée vivante, elle était restée logiquement française. Et comme disait le poilu : « Cela valait la peine de se battre quatre ans. » Mais cela vaut aussi de respecter avec un soin jaloux dans le présent et dans l’avenir l’âme de ces provinces et les traditions mêmes qui nous les ont si merveilleusement gardées fidèles.

Quittant l’Alsace et la Lorraine encore tout agitées d’amour