Depuis lors j’ai connu les nobles esplanades
Eparpillant au rythme lent des promenades
Leurs lanternes, leurs fleurs, leurs coupes, leurs grelots ;
La musique et le lac y fondaient leurs sanglots.
Certes, j’ai bien aimé l’orgueil des colonnades
Hautaines et posant leurs pieds blancs dans les flots !
L’une avait des jets d’eau ; l’autre était odorante ;
Toutes, au sein des nuits, semblaient mêler encor
Le silence sonore et l’ombre transparente…
Mais rien ne me parlait en leur rare décor :
La lune était trop froide aux escaliers d’Angkor,
Le vertige rôdait aux balcons de Sorrente.
Tandis que ma terrasse ouvre à mes sens charmés
Le cortège des murmures accoutumés.
Et les ombres aussi viennent m’y faire escorte ;
Si je-songe ce soir aux âmes que j’aimais,
Ce sont autant de glas que l’air natal m’apporte :
Une est sous d’autres cieux ; une, au cloître ; une, morte…
Mon Dieu, Vous avez mis ces souvenirs d’aïeul
Au cœur adolescent où bouillonne la sève.
Mais la nuit va finir : la feriez-Vous si brève
Si Vous ne vouliez pas, soulevant le linceul,
Peupler encor de jeux, d’étoiles et de rêve
La terrasse d’enfance où je viens m’asseoir seul ?
Enfant, vous paraissez et mon printemps se livre ;
Vous voici, jeune fille, et le soir est plus doux ;
Femme, je vous ai vue et je ferme ce livre :
Le chant de mon jeune âge expire à vos genoux.
D’autres mots vont bercer ma lèvre qui vous nomme.
D’autres soins vont charger mon front d’adolescent ;
Femme, vous voici donc, qui m’allez sacrer homme :
Votre jour s’est levé sur mon jour finissant.