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Enfin, le 24 décembre, à midi, on vint me chercher pour la lecture du verdict ; chacun des condamnés fut amené séparément. L’auditeur militaire m’annonça alors que le Kaiser m’ayant graciée, je bénéficiais à nouveau de cette même clémence impériale, et que ma peine restait ce qu’en avait fait la commutation de la sentence du premier procès : travaux forcés à perpétuité. Mes coaccusés avaient dix et douze ans de travaux forcés.

On continua à nous garder rigoureusement au secret. Le 5 janvier, dans la soirée, on vint m’annoncer que je partais le lendemain… J’ignorais ma destination. L’auditeur militaire vint me prendre au cachot le 6 au matin avec un soldat qui chargea un fusil devant moi ; les balles m’étaient destinées si je tentais de fuir, m’expliqua l’auditeur militaire, au moment du départ. Je l’assurai encore que la captivité était pour moi un tel honneur que je ne la regrettais pas. Ai-je besoin de dire que j’aurais tenté une évasion, si elle eût été possible ? Dans un coin du cachot à Cambrai, et à 2 mètres du sol, une planchette clouée au mur laissait par les interstices filtrer quelques rayons de lumière. Après bien des essais, je pus l’atteindre, croyant qu’elle condamnait une lucarne, mais ce n’était qu’un étroit créneau ouvert dans le mur très épais. Il ne fallait pas songer à fuir par là. Dans le wagon où on m’installa sans lumière, j’étais près de la portière, mais je sentais l’active surveillance dont j’étais l’objet, je n’aurais pas même eu le temps d’ouvrir la portière sans que le soldat tirât.

À notre arrivée à Bruxelles, je demandai au soldat qui déchargeait son fusil si vraiment il aurait tiré sur moi si j’avais tenté de fuir : « Je le devais, me répondit-il, car votre évasion m’aurait valu dix ans et plus de reclusion. »


EN PRISON CELLULAIRE

La prison de Bruxelles était passée complètement sous la surveillance des autorités militaires. Le régime était des plus rigoureux, et les communications entre détenus étaient devenues impossibles. Je restai à Bruxelles jusqu’au 26 janvier. Escortée par une geôlière et un sous-officier, je partis pour l’Allemagne avec une de mes codétenues, une pauvre femme belge condamnée à dix ans de travaux forcés pour avoir donné asile à un