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nos armements pour désarmer le peuple de proie ; trop de ses fils, même parmi les soldats de métier, avaient cessé de croire à la guerre.

Pourtant, par delà les fautes ou les erreurs particulières et récentes, si l’on regarde aux vérités générales, qui seules sont des vérités, si l’on considère le cours sinueux de ces quarante-trois années où la France, vaincue et sans cesse guettée par le vainqueur, dut déployer, si fière fùt-elle, des ressources infinies de prudence et de souplesse, il apparaîtra que, pure de tout esprit de conquête et soucieuse par-dessus tout de réaliser sur la terre son vieux rêve, presque aussi vieux qu’elle, de la paix entre les hommes, elle a fait beaucoup pour entretenir sans cesse un appareil militaire conforme aux fins de sa politique toute défensive et toute pacifique, assez puissant néanmoins pour tenir en respect l’Allemagne et ses appétits. Il apparaîtra qu’elle a su en conséquence, — tandis que tant d’autres nations, grâce à elle, prospéraient dans le luxe et dans la joie, — s’imposer pour son armée des charges budgétaires proportionnellement aussi lourdes que celles que s’imposait l’Allemagne, et des lois de recrutement plus lourdes, puisqu’elle en était venue jusqu’à enfermer pour trois ans dans les casernes sa jeunesse entière, — et cela nulle nation ne l’avait jamais fait, depuis que le monde est monde. Il apparaîtra, en un mot, que le rôle d’ « armée de couverture de l’Entente, » ce n’est pas seulement depuis le 2 août 1914, c’est depuis l’année 1871 que l’armée française l’a tenu.

Elle l’a bien tenu, s’il est vrai que la France a su lever et transporter aussitôt et en bel ordre aux frontières de très grandes forces, 22 corps d’armée actifs, 26 divisions de réserve, 10 divisions de cavalerie, les concentrer en douze jours, aussi vite que l’Allemagne, les reconstituer à pleins effectifs immédiatement après la saignée du mois d’août, soutenir, avec l’aide de l’armée belge et du corps expéditionnaire britannique, le choc de forces allemandes qui, tour à tour diminuées et accrues, formaient à la bataille d’Ypres plus de 37 corps d’armée <ref> Exactement 22 corps d’armée actifs et la valeur de 15 corps de réserve au total 1 293 bataillons d’infanterie. </<ref>, et vaincre sur la Mortagne, et vaincre au Grand-Couronné, et vaincre sur la Marne, et vaincre sur l’Yser.

Alors, au terme de cette bataille de trois mois, au jour où