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hommes d’action. Pierre, dont le profil s’aperçoit entre l’angélique tête de Jean et la noire silhouette de Judas, se projette en avant. Par un injuste soupçon, sa main désigne un apôtre placé au bout de la table. Mais Jacques Mineur, dont la tête apparaît entre Barthélémy et André, le reprend : « Ne vois-tu pas, clame-t-il, que tu frôles le traître ? » A la même seconde, Jacques Majeur, assis à côté du Christ, se tourne vers lui dans un mouvement d’indignation. Ses bras écartés commentent sa supplication : « Regarde-moi, Maître, s’écrie-t-il, et dis si je suis capable d’une telle infamie ! » — Ces trois apôtres représentent la catégorie des hommes d’action et des enthousiastes violents, auxquels, selon la parole du Christ lui-même, appartient le royaume du ciel. Ils ont compris la sublimité du Christ et la grandeur de sa mission. Ils sont prêts à donner leur vie pour lui. Ce sont les boute-en-train, les réalisateurs, les héros de l’humanité, sans lesquels rien de grand ne pourrait se faire. Toutefois leur fougue et leur précipitation les entraînent souvent au delà du but et les exposent à de terribles réactions. Ils ont besoin d’être modérés et dirigés par une sphère supérieure.

La troisième catégorie, celle des psychiques ou des intellectuels spiritualisés, n’est représentée dans la Cène de Léonard que par deux apôtres : Philippe et Jean. Figures exquises de jeunes hommes. Par leur beauté délicate et fine, par leur sensibilité frémissante, ce sont presque des femmes. Philippe se lève, et, penché vers le Maître, les mains ramenées sur sa poitrine, il proteste de son innocence avec une grâce de jeune fille. Quant à Jean, il ressemble à Jésus par ses longs cheveux bouclés et une douceur de vierge épandue dans son attitude et sur l’ovale aminci de son visage. Une indicible tristesse courbe sa tête comme un saule. Il ne dit rien, lui, car il a tout compris : l’horreur de la situation, la volonté du Maître de se sacrifier pour l’humanité, l’inutilité de toute parole. Il demeure accablé à la pensée de ce qui se prépare. Douleur insondable et immobile, qui ne mesure pas sa profondeur et pleure sur un abîme. Il ne peut que joindre ses deux mains sur la table et prier en silence. — Ces deux disciples sont les plus proches du Christ par l’âme. Interprètes les plus élevés de sa doctrine, ils figurent les initiés de l’Esprit pur, les apôtres de l’Évangile éternel.

Quant à Judas, au profil crochu, qui se retourne vers le Christ avec un regard de défi en s’écriant : « Ce n’est pas