Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/841

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de charité soignait les blessés dans le calme et la paix des salles blanches et ne levait la tête que lorsque la rue entrait à l’hôpital...


ÉVOCATION D’UNE AUTRE ÉPOQUE


I. — UN LAZARET DE L'UNION DES VILLES SOUS L’EMPIRE


Le jour où j’ai quitté l’ambulance entourée de tamaris, où je servais, en pays basque, depuis le début de la guerre, j’éprouvai une lourde tristesse. Ce coin de France a gardé la meilleure partie de moi-même. Là, j’ai vu tout ce qu’il y a de noble et de beau dans l’âme du soldat français, à quelque milieu social qu’il appartienne. Les humbles sont les plus grands ; jamais on ne surprend une ombre de servilité, même chez les plus modestes d’entre eux, chez les plus déshérités et les plus pauvres. Aux heures de spleen où j’ai peine à respirer, je songe à la vie de la petite ambulance de là-bas, et l’air me semble plus léger.

Quand je dus traverser les pays neutres, où les gens s’amusaient, je fus étreinte par la sensation d’un sacrilège... On sortait de France comme d’une église... Je me consolai à l’idée de travailler dans ma patrie au chevet des soldats russes. Je leur raconterais comment leurs frères d’armes se battent et meurent : alors leur propre souffrance leur paraîtrait plus facile à supporter, et ils ne se sentiraient plus aussi seuls dans la lutte mondiale.

A Torneo, il faisait froid, quoiqu’on fût au mois de mai. Beaucoup de gendarmes et de tchinovniks : on entrait en Russie. Nous arrivâmes à Petrograd tard dans la soirée. Je voyais pour la première fois ma mère dans ses voiles de veuve. Dans notre maison, ce qui me frappa ce fut l’impression du grand vide qu’y avait laissé la mort de mon père. Le lendemain matin, j’allai au cimetière. Tous ceux que j’avais l’habitude de voir autour de la table de mes parents, n’existaient plus. Une tristesse, telle que je n’en avais jamais connu, s’appesantit sur moi.

Extérieurement, la ville n’avait pas changé d’aspect. On ne respirait pas comme en France une atmosphère de guerre. J’obtins la place de curatrice d’un lazaret de l’Union des villes.