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Alsacienne, rompant les barrières, — qui leur peut résister ? — en apporte un nouveau tribut. Il faut voir le mâle soldat se pencher, empoigner la jolie petite sous les bras, la hisser sur sa selle d’où l’enfant regarde, dix bonnes minutes, passer les poilus, et les cris de joie de la foule. Ce fut un moment unique, le geste résumait la journée : la France reprenait l’Alsace. Est-ce, en cette minute, le grand soldat ou la petite fille que, du sabre haut levé, puis largement abaissé, cet officier qui passe salue, droit sur sa selle et la figure en feu ?

Longtemps on parlera d’Hirschauer à Mulhouse : soldat magnifique qui entra, si beau de dignité sans raideur, comprimant ses larmes parce qu’il était « le chef, » et cheminant, redressé par son émotion même, dans les effluves d’amour Par surcroit, il se fit tribun quand, de l’estrade où l’adjoint au maire venait de le saluer au nom de la vieille république de Mulhouse, il eut l’heureuse pensée de répondre non aux notables de l’estrade, mais à la foule entière se pressant sur la place. Sa forte voix portait, jusqu’aux extrémités de ce Forum alsacien, de fortes paroles fortement pensées.

Qui dira la soirée de Mulhouse ? Le volcan s’est ouvert ; la lave qui a jailli par une bouche unique, maintenant se répand dans la cité. Les soldats qui se « disloquent » sont assaillis, embrassés, portés. Les citoyens s’embrassent entre eux. Ce 17 au soir, y a-t-il de par le monde un seul lieu où règne plus de joie ? « Vous ne pouvez imaginer, écrit le lendemain une Alsacienne, ce qu’a été l’entrée à Mulhouse, de vos admirables soldats ; on les couvrait de fleurs, on les embrassait ; les enfants s’accrochaient à eux, ne voulant plus les quitter. Cette victoire si complète enchante l’âme, le bonheur guérit tous les maux. »

La nuit enveloppait la cité lorsque je la quittai. De toutes les visions qu’elle m’avait données, j’en gardais une très présente : pendant ce défilé, un brave homme, près de moi, saisi par l’extase, ouvrait les bras, à chaque compagnie qui devant lui passait, et, sans souci du beau chapeau de soie qui roulait dans la poussière, il répétait avec un sourire d’illuminé sur sa face congestionnée : « Voilà les Poilus ! Oh ! les Poilus ! » Jamais le culte à nos héros anonymes ne m’avait paru revêtir forme si parfaite d’admiration.

Dans la banlieue de Mulhouse, je rencontrai de grands fourgons qui montaient vers la ville : c’était le « ravitaillement. « La