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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/862

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Après une longue attente, je vis sortir Urevitch. Je lui dis que je m’adressais au médecin, à l’homme de cœur, non au préfet. Il m’écouta avec beaucoup d’attention et répondit en soupirant :

— J’aurais beau donner des sauf-conduits aux Frédéricks, quelle valeur auraient-ils pour la foule ? Nous n’en sommes pas les maîtres. Mon seul conseil est de cacher ces dames chez des amis ou dans un hôpital, pour les faire oublier.

— Ne pourrait-on les acheminer vers la Finlande ?

— Malheureusement non. Elles n’obtiendraient pas de passeport.

Ainsi, il se déclarait impuissant. Du moins se montra-t-il d’une grande affabilité : il me promit de téléphoner au gérant de ne pas créer de nouveaux ennuis à mes amies.

... Je viens de voir la comtesse Frédéricks. J’en suis encore toute bouleversée. J’évoque son image dans le décor où elle m'apparut, la dernière fois qu’elle me reçut dans sa maison de la Potchtamskaya. Elle s’enchâssait, précieuse, dans son salon aux teintes fanées. Petite, mince, ses cheveux blancs bien ondulés encadrant des traits où s’évoquaient les traces d’une ancienne beauté, elle dégustait son thé parfumé dans des tasses de porcelaine diaphane. Ses mains fines et transparentes se détachaient sur sa robe de taffetas noir. Un collier de grosses perles s’enroulait autour de son cou. Élégante, intelligente, fine, elle ne manquait pas d’esprit et l’avait parfois mordant. Tant de vivacité se dégageait de sa personne qu’on en oubliait son âge : tout de suite la conversation avec elle prenait un tour aimable et familier. Elle s’intéressait aux choses les plus futiles comme aux plus sérieuses. D’ailleurs, adorant son mari, toujours inquiète à son sujet quand il s’absentait.

Aujourd’hui, combien le tableau était différent ! Dans une modeste chambre aux meubles de campagne, j’aperçus une toute petite vieille ; les cheveux tirés, la figure grosse comme une noisette, dévorée par les charbons ardents de ses yeux, agrandis et brûlants d’un éclat fiévreux. Elle portait une robe de chambre de velours émeraude, et ce luxe, ridicule en un pareil moment semblait une dernière offense du faste de jadis à la misère présente. C’était cela, la comtesse Frédéricks, naguère crainte et courtisée par tous ! On lui cachait encore la captivité de son mari, la destruction de son home incendié, et qu’elle-même