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Ce mot demeure toujours vrai : il résume, en sa brièveté magnifique, toute la vie posthume de M. de Cambrai. Je le donnerais volontiers comme exergue au livre si neuf et si minutieusement érudit que vient de publier M. Albert Cherel sous le titre : Fénelon au XVIIIe siècle en France (1715-1820) : son prestige, son influence [1]. Les textes s’y pressent ; les faits s’y accumulent, les détails s’y bousculent. D’abord on les croit essoufflés, et puis ils se casent, et même ils s’enchaînent. C’est une opulence de fourmillement bibliographique, qui met sous nos yeux, telle quelle, d’étape en étape, avec tous ses zigzags et tous ses cahotements, la marche d’une gloire : invraisemblable et parfois comique odyssée, au travers de laquelle on voit un prêtre parler en philosophe, un grand seigneur s’habiller en démocrate, un esprit puissant s’abandonner aux bêlements d’une âme sensible, une figure harmonieuse tourner à la caricature, aux acclamations d’une grande partie de la France politique.

Les Jésuites ne posent pas cette figure comme la posent les philosophes ; mais leur zèle est pareil ; et pareil, aussi, l’éclat dont ils la font rayonner. L’éditeur Didot put à la fin du siècle en témoigner, puisqu’en 1787 il reçut du P. de Querbeuf, ancien Jésuite, les éléments nécessaires pour une édition d’ensemble des œuvres de Fénelon, et puisqu’en 1790 une assemblée de philosophes, — la Constituante, — prit sur le trésor public vingt mille livres en vue d’en hâter l’impression. Un ancien Jésuite avait lancé l’affaire ; les philosophes tentaient de la remettre à flot : d’un régime à l’autre et d’une France à l’autre, pour la plus grande gloire de Dieu ou pour celle de la philosophie, mais toujours pour celle de Fénelon, le projet d’œuvres complètes se prolongeait ; philosophes et Jésuites, — une fois n’est pas coutume, — avaient fortuitement collaboré, pour l’illustration de Mgr François de Salignac de la Mothe-Fénelon, archevêque-duc de Cambrai et prince du Saint-Empire.


I

Son attachement au Saint-Siège, ses luttes contre le jansénisme, l’avaient désigné dès son vivant à la sollicitude des

  1. Paris, Hachette.