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Ce que sont les charges que lui lègue la guerre, quelques chiffres suffisent à le faire voir. La délie publique était déjà fort lourde, nous l’avons dit, en 1793, à 239 millions sterling ; en 1816, elle se trouve presque quadruplée en capital et s’élève à 885 millions de livres. Le budget ordinaire se montait en 1791 à 16 millions et demi de livres (deux fois plus qu’en 1775) : en 1815, il atteint 79 millions, soit près de cinq fois plus ; l’impôt a presque quintuplé. Représentons-nous bien ce que cela veut dire : c’est comme si nos budgets de demain devaient s’élever à quelque 24 milliards de francs, au lieu des 5 milliards de 1914, ce qu’on peut tout de même espérer qui ne sera pas le cas ! Voilà l’énorme charge fiscale annuelle qui incombe alors à l’Angleterre, la guerre finie. Napoléon avait prédit qu’elle succomberait sous le poids ; les hommes d’État, les économistes lui annonçaient l’appauvrissement définitif, sinon la ruine fatale ; l’industrie, le commerce devaient être paralysés à jamais. Or, elle tint le coup, fil mentir les Cassandre et réussit, à l’étonnement même des plus patriotes et des plus clairvoyants de ses fils, à porter un fardeau que tous jugeaient au-dessus de ses forces.

Les huit ou dix premières années qui suivirent Waterloo furent les plus dures, et semblèrent d’abord justifier les présages des plus pessimistes. Très vite, les prix naguère surélevés de toutes les denrées se mirent à fléchir, non sans de regrettables fluctuations qui firent le jeu des spéculateurs et causèrent bien des paniques. L’agiotage engendre les crises : en deux ans, deux cent quarante banques durent cesser leurs paiements en Grande-Bretagne. La chute des prix, aggravée par la surcharge de l’impôt, déprime alors l’industrie, abaisse les profils et les salaires, provoque le chômage. C’est d’ailleurs l’agriculture, qui avait le plus profilé de la guerre, qui perd le plus à la paix, et ce sont les produits de la terre qui subissent la plus forte baisse : le quarter de blé, de 110 shillings (en 1810), tombe à 74 en 1819, à 43 en 1822. Les fermiers ne peuvent plus payer les hauts fermages consentis pendant la guerre, ni les landlords leurs hypothèques ; la terre se déprécie ; les plus beaux domaines, écrit un membre du Parlement en 1816, se vendent avec 50 pour 100 de perte. La culture dépérit, bien des terres tombent en friche, les expropriations se multiplient, et on voit disparaître ce qui restait chez nos voisins de petits propriétaires,