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plus musical peut-être des grands musiciens, est un maître terrible, on ce sens qu’on ne peut le servir que par les moyens de la pure musique. Tragédiens ou comédiens, les interprètes de Don Juan ou des Noces n’ont à chercher leur inspiration que dans l’inspiration musicale. Leur premier devoir est de vivre, de se mouvoir, non pas à côté, mais au dedans et comme au sein de la musique même. La musique est l’élément nécessaire et suffisant à leur art. Qu’ils le possèdent, le reste, presque tout le reste, leur sera donné par surcroit. Qu’il leur soit étranger, tout leur manque. et voilà justement ce que la reprise des Noces à l’Opéra-Comique, une fois de plus, a fait voir.

Un seul, ou plutôt une seule interprète, Mme Ritter-Ciampi (la comtesse), a chanté musicalement la musique de Mozart. Les qualités, fort estimables ailleurs, de M. Vieuille, ne le désignaient guère pour le rôle de Figaro. Sachons-lui gré de l’avoir tenu convenablement en dépit de sa propre nature. Soldat et soldat courageux, soldat blessé de la grande guerre, comment le jeune M. Fontaine eût-il pris aux tranchées les allures et le ton du comte Almaviva ? L’opérette pouvait encore moins apprendre à Mlle Edmée Favart, qui s’y montra fort gentille, dans quel esprit et dans quel sentiment, — l’un et l’autre sont ici nécessaires, — se chantent les deux airs de Chérubin. Enfin la voix et le style de Mlle Vallandri (Suzanne) ont je ne sais quoi de raide et de lourd. La verve, la joie, la grâce légère, lui font défaut à tout moment, et quand vient le plus beau moment de son rôle, un des plus beaux de la musique entière, il lui manque la poésie. L’air des marronniers ! C’est là pourtant, et même un peu plus tôt, au cours de l’admirable et mystérieux préambule, c’est là qu’il faut prendre de ces « temps » dont nous parlions tout à l’heure. C’est là qu’il sied, ne fût-ce qu’une seconde, de s’attarder, de rêver, de se troubler vaguement et de s’attendrir. C’est là que la voix doit s’épancher, sfogarsi, disent les Italiens, et l’âme, l’âme tout entière, s’abandonner avec la voix.

L’exécution générale du chef-d’œuvre de Mozart encourrait encore d’autres reproches. Pourquoi ces danses surérogatoires et ces entractes empruntés ? J’ignorais aussi qu’il y eût des harpes dans l’orchestre des Noces. Après les y avoir vues et entendues, je persiste à croire qu’il n’y en a pas. Au lieu de les introduire ici, ces harpes impertinentes, que n’a-t-on gardé le clavecin et le récit rapide, brillant (recitativo secco), que le dit clavecin accompagne ! Il a cependant son agrément, ce parlando musical, et sa raison d’être, musicale également. D’abord il court, il vole. Et puis il ne rompt pas, comme