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affluent, dit d’une voix grave : « J’avais demandé à Dieu de ne pas me prendre avant ce jour : voilà quarante-huit ans que je l’attends. » L’adjoint revient avec la vieille écharpe tricolore de son père, maire en 1870. Le curé-doyen accourt, ayant, — fait sans précédent, — abandonné les vêpres à son vicaire : il veut que les officiers fassent à son presbytère l’honneur d’une visite ; un peu plus, il admettrait qu’en y entrant ils vont sanctifier l’église. Un soldat, qui a été d’une des entrées de Lorraine, écrit : « Après la présentation du drapeau, toutes les femmes présentes sont venus l’embrasser. C’était émotionnant. » On allait voir, à Saint-Avold, la musique militaire accompagner les vêpres chantées par l’aumônier de la division, évêque de Gap, Mgr de Llobet, car si en Alsace des curés excitent les jeunes ouailles à la danse « pour la France, » en Lorraine, des curés donnent aux entrées le caractère que pouvaient donner à celles des Croisés en Terre Sainte les moines délivrés du joug des Infidèles. À Sarrebourg, la messe du Requiem sera chantée par la maîtrise du corps d’armée ; à Thionville, on sera reçu par le vénérable abbé Wagner, déporté pour avoir refusé de faire un sermon aux prières publiques ordonnées par l’évêque pour le triomphe de l’Allemagne. Réellement, dans ces journées de novembre, régnait en Lorraine une atmosphère prodigieuse. Les Tancrède ou les Rodrigue, ayant terrassé le Maure, devaient être ainsi reçus au seuil des sanctuaires délivrés.

On savait, d’autre part, qu’à Metz même courait une émotion intense. Le 17 au matin, le Conseil municipal réuni au sein d’une nombreuse assistance avait entendu M. Iung, député à l’ancien Landtag, qui, arrivant de Strasbourg, avait donné la note. En cette ville de Metz où le baron de Gemingen continuait, au nom de l’empereur d’Allemagne, ses fonctions préfectorales, M. Iung put s’écrier en pleine mairie qu’il fallait faire aux soldats de France « une entrée digne de notre mère patrie la France. » M. Guenser, élu président, fit éclater la joie d’un vieux cœur français longtemps oppressé. « Réjouissons-nous de cette réunion où, pour la première fois, il nous est permis de nous servir de notre langue maternelle et de nous entretenir fraternellement. Ouvrons cette séance en criant : Vive la France ! Vive l’armée française ! » Dos acclamations lui répondirent. Il reprit : « Mesdames, messieurs,