Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/215

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
211
REVUE LITTÉRAIRE.

losophes ; et beaucoup d’historiens, contents de n’être plus de pauvres chercheurs de vérités et jaloux de s’établir un peu philosophes à leur manière ; et les sociologues, et les praticiens de la sociologie, et leurs camarades les politiciens. Elle est, cette doctrine, dans les livres et dans les discours, plus ou moins nette, plus ou moins dénaturée. Elle est dans les imaginations des penseurs et des ignorants.

Certes, il y a loin de l’hypothèse darwinienne aux conséquences que les néo-darwiniens et les pseudo-darwiniens en ont tirées. Mais enfin, s’il est admis que tout évolue et que la loi de ce monde est l’évolution, si les sociétés humaines évoluent, les amis du changement perpétuel trouvent là, beaucoup mieux que leur excuse, leur encouragement : un encouragement dont ils n’ont guère besoin. N’essayez pas de les calmer : ils travaillent avec la nature, vous diront-ils, et favorisent le bel entrain de la nature. Ils méprisent tout le passé ; ils méprisent, dans le passé, ce qui serait peut-être utile à conserver. Ils méprisent aussi le présent, qui est déjà du passé. Ils n’aiment que l’avenir : et ils l’inventent à leur gré. Le plus souvent, d’ailleurs, ce qu’ils appellent l’avenir n’est que du passé qu’ils se figurent qui ne s’est pas réalisé encore. Et leurs rêves sont tout pleins de vieille barbarie méconnue. Où vont-ils ? mais, au bolchevisme, par exemple : car ils croient que le bolchevisme est tout neuf.

Où vont les ignorants, animés par la doctrine de l’évolution ? mais à toute folie, lorsque voici où vont les savants. Le Dantec avait adopté la doctrine évolutioniste et la menait à ses dernières conséquences. Il n’admettait de vérité que biologique ; et, les phénomènes biologiques, il les plaçait, parmi les phénomènes naturels, « entre les phénomènes particulaires des colloïdes et les phénomènes chimiques d’équilibre moléculaire. » Que faisait-il de la morale ? L’homme étant de même sorte que les divers êtres vivants, animaux ou végétaux, et de même sorte que les corps bruts de l’univers, il n’y a point de liberté, point de responsabilité ; la notion même du devoir est anéantie. Peut-on seulement compter sur l’établissement d’une morale scientifique, ou réduite aux vérités de la science ? « La science, répondait Le Dantec, ne nous dicte pas de morale pratique. » Il y a le bien et le mal, le juste et l’injuste ? Ce sont, répondait Le Dantec, des opinions humaines : ce ne sont pas des vérités scientifiques. Il ajoutait : « Des esprits généreux ont souhaité l’avènement du règne de la science parce qu’ils y ont vu l’avènement du règne de la justice ! Il faut en rabattre : le règne de la science, s’il est possible, si une humanité