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Jules Tellier portait, déjà, sous ses paupières creuses, le signe avertisseur. Ses conversations, ses idées se tournaient fréquemment vers la mort, qui lui inspira un de ses plus beaux poèmes, et à laquelle il comptait consacrer son prochain livre. Il parlait avec une éloquence prenante, et semblait hanté d’un songe intérieur. De retour à Paris, j’appris avec peine sa mort. Il s’était éteint obscurément, dans un hôpital à Toulon,


Ma mère n’habitait plus Sèvres, mais une petite maison du Bas-Samois, proche la Seine, à la lisière de la forêt de Fontainebleau. Je logeais avec les miens dans une auberge, au haut du village. Ce retour à la forêt qui avait été la complice de mes grands rêves d’adolescence, ce retour à la rivière où s’était mirée notre barque de comédiens-enfants, était pour moi quelque chose d’émouvant. Les forêts plus que la mer et la montagne, me fascinent ; je suis en communion immédiate avec leur mystère touffu, et leur sortilège puissant. Cette forêt, entre toutes, pour moi, était Fée. Que j’en suivisse les allées vertes ou les plaines de bruyères roses, que j’en foulasse les clairières ramifiées de fougères ou les tapis roux étoilés de girolles et de ces ceps vénéneux qui se décomposent comme le masque de Méduse dès qu’on les touche, elle m’envoûtait de son charme auguste et de son silence pesant, de ses oiseaux muets et de la lente fuite, au loin, d’une biche sous la feuillée.

La Forêt ! Moi aussi, elle me pénétrait de son philtre : je retrouvais en elle l’attrait puissant dont elle avait bercé ma jeunesse. Que de promenades au pas rythmé de mon cheval, que de galops de chasse dans les allées de sable ! N’était-ce pas vraiment la forêt enchantée ? Elle n’a point d’oiseaux, ni d’autre eau que quelques mares ; elle est faite de silence et de solitude. On peut y errer des heures à travers les clairières, les sous-bois roux, les landes de bruyères, les chaos, les déserts, les hautes futaies, sans rencontrer âme qui vive. Elle est variée, infinie, pleine de mystère. Je lui ai dû de grandes consolations…

Elle dressait devant moi, en fûts de cathédrale, ses chênes, ses hêtres robustes, comme une leçon de force et de sérénité. Elle compatissait de son calme reposant à mes angoisses intimes. Elle s’accordait avec le cœur sauvage que fait parfois,