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COMMENT JEAN WOUTERS
COMPRIT LA GUERRE


I

Jean Wouters connaissait la guerre. Pas toute. Quand il considérait la petite place qu’il occupait dans la ligne infinie des tranchées, ou quand, au repos, il voyait passer ces immenses convois, qui encombraient les routes, et quand il pensait aux Allemands, de l’autre côté ; et aux Alliés, et aux troupes venues de tous les coins du monde, alors il sentait bien qu’il était comme un grain de sable sur la grève. Mais il connaissait la guerre pour sa part. Il l’avait menée pendant cinquante-deux mois : c’était assez pour la connaître, je pense. Toujours au front, dans l’infanterie, à part le temps de l’hôpital. Deux blessures. Elle l’avait changé, la gueuse. Elle l’avait amaigri, elle l’avait desséché. Elle lui avait donné des gestes brusques et une voix autoritaire. Elle lui avait fait l’intelligence plus lourde et l’âme plus simple. Elle l’avait rendu plus dur d’apparence, et plus tendre au fond du cœur. Elle l’avait fatigué, vieilli, usé. Mais elle l’avait épargné tout de même. Il la connaissait bien.

Maintenant, c’était fini ; l’armistice était signé ; assez de misère. On n’entendrait plus le canon. On n’irait plus prendre sa place dans les tranchées à travers les boyaux gluants. On ne mettrait plus le masque contre les gaz. On serait libre ; on irait où l’on voudrait ; on serait heureux. 11 n’y avait plus qu’à attendre la paix, tranquillement.

Il revenait chez lui, vers ce Nord embrumé que ses enfants aiment d’un amour plus tendre, parce qu’il est déshérité du