Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chancelier avorta. Il y revint après la fameuse crise de 1875, mais quand il voulut y rallier Guillaume Ier, il se heurta aux sentiments que celui-ci nourrissait pour son neveu. Il lui eut été difficile d’oublier le télégramme qu’il lui avait adressé au lendemain de ses victoires : « Après Dieu, c’est à vous que je les dois, » Mais, depuis, le Congrès de Berlin avait creusé un fossé assez large pour que ces souvenirs y fussent enterrés, et, en 1879, au lendemain du Congrès, la Russie fut convaincue que l’Allemagne était devenue son ennemie intime, comme elle était pour la France l’ennemie héréditaire. Les mensonges du chancelier ne pouvaient rien contre cette vérité, et ce fut l’origine de la rupture de la Triple-Alliance dont nous avons parlé plus haut.

Au mois de février 1888, ces sentiments reprirent une force nouvelle lorsque fut publié le traité austro-allemand qui parut simultanément à Vienne et à Berlin. Il était connu, quoiqu’on en ignorât le texte, et n’apprenait rien à personne ; néanmoins, l’émotion fut vive à Saint-Pétersbourg ; la fibre patriotique était blessée, et à un bal de cour qui suivit cette divulgation, l’ambassadeur allemand fut moins entouré que de coutume. Les Russes s’indignaient en constatant que le traité avait été conclu au moment où, dans les trois capitales du Nord, on célébrait l’entente des trois empereurs comme un gage de paix et où cette entente était caractérisée par les entrevues de Kiemsier et de Skierniewicz où les souverains se donnaient la main.

On nous permettra de rappeler ici qu’en évoquant les souvenirs d’un passé où chaque incident de la politique internationale peut être considéré comme une étape sur le chemin de la guerre de 1914, nous n’avons pas eu la prétention d’écrire une histoire du règne d’Alexandre III, mais seulement de mettre en lumière les circonstances révélatrices des desseins de l’Allemagne et les soupçons qu’ils inspiraient à l’avant-dernier des Romanoff. Ces soupçons, en effet, ont été les mobiles de ses décisions ultérieures et l’ont conduit d’abord à considérer la France comme la seule alliée sur laquelle il pût compter, et ensuite, à entrevoir la possibilité de faire de cette alliance l’armature d’une ligue défensive contre l’Allemagne. On n’attendra donc pas de nous que nous rappelions ici toutes les péripéties qui ont caractérisé l’année 1887 si féconde en