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et la France de nouveaux incidents qui pourraient prendre de la gravité. » Les rapports entre les deux cours conservaient donc encore une physionomie rassurante et devaient la conserver longtemps encore. En septembre 1889, Alexandre III fournissait publiquement la preuve qu’il n’y voulait rien changer. Il arrivait à Postdam et y était reçu fraternellement, se prêtant avec un empressement évident à tous les témoignages affectueux que lui prodiguait son impérial cousin. C’est ainsi, par exemple, qu’un matin Guillaume II lui ayant proposé de lui servir d’aide de camp pendant son séjour en Allemagne, il accepta à la condition que lui-même remplirait le même rôle lorsque Guillaume viendrait en Russie et reçut de ses mains un chiffre ayant appartenu à Guillaume Ier, qu’il promit de porter toutes les fois qu’il revêtirait un uniforme allemand.

Quand on a pu pénétrer, à la clarté des événements postérieurs, dans les dessous de la politique allemande à cette époque et dans la mentalité des deux souverains, on ne peut se défendre de considérer ces échanges de politesse comme des traits de haute comédie et d’en sourire, surtout lorsqu’on recueille au passage des preuves du réel état d’esprit du Tsar. On lit dans une lettre écrite de Postdam, pendant qu’Alexandre y résidait :

« La Russie n’est pas satisfaite de l’état de choses actuel. Mais ses relations avec l’Allemagne, — relations politiques, s’entend, — ont pris une tournure plus mauvaise que ne le comportent les conditions matérielles de leur politique. On a le sentiment d’une humeur qui trouble, aigrit les questions et n’a pas sa racine dans la nature des choses. A cet égard un échange d’idées franc et loyal peut produire quelque apaisement et quelque adoucissement. Mais un souverain représente a un si haut point le peuple qui lui est soumis que les bonnes dispositions du Tsar ne peuvent faire oublier que l’empire et le peuple nourrissent une haine puissante contre tout ce qui est Allemand. »

A citer encore ce jugement que la visite d’Alexandre à Berlin inspirait à la presse moscovite. Elle rappelait les fautes commises par les Romanoff depuis plus d’un demi-siècle dans leurs rapports avec la Prusse, l’hommage sentimental rendu par Alexandre Ier au tombeau de Frédéric II, le pire ennemi de la Russie, la liberté laissée à Guillaume Ier de ruiner le