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montré que l’emprise allemande, quoiqu’elle ne correspondit pas à la somme des efforts dépensés, était déjà suffisante pour constituer un danger réel.

Cette emprise est-elle donc encore à craindre ? Cette pénétration allemande si méthodiquement conçue, si minutieusement réalisée, va-t-elle continuer à s’exercer ? Après les liens commerciaux qu’elle s’efforce de recréer, en offrant aux commerçants et aux acheteurs suisses, des facilités qui leur sont refusées ailleurs, verrons-nous se renouer les liens intellectuels ? Essaiera-t-elle de s’assurer une revanche en tâchant de s’emparer peu à peu des marchés et des esprits ?

Le danger serait d’autant plus grand que l’épouvantail de l’impérialisme allemand, qui effarouchait les vieux démocrates suisses, n’existe plus. Et nous aurons bien plus de peine, désormais, à nous garder de l’emprise allemande.


La Suisse est en effet le point de rencontre de deux cultures, de deux éducations qui s’affrontent sur son sol même ; mais leur antagonisme est en quelque sorte adouci par le fait que ces deux civilisations ne sont plus représentées par des Français et des Allemands, mais par des Suisses qui les ont modifiées au passage et n’ont pris à ces deux cultures que les éléments compatibles avec leur propre esprit. Le lien qui attache ensemble les Suisses latins et les Suisses alémaniques est tout intérieur, et, pour ceux qui ne les connaissent guère, leur unité, très réelle, est invisible : cet indissoluble lien, c’est un commun attachement à leurs libertés et à leur droit ; cette unité, c’est la conscience d’être, de par leur volonté, la plus vieille démocratie du monde. Ces deux certitudes les unissent, et ils se font mutuellement confiance. Dans cette Société des nations en miniature que représente la Suisse, les cantons n’ont pas le droit de se livrer à des accords particuliers avec des Puissances étrangères. Mais il est impossible qu’ils ne soient pas sollicités de côtés différents, par les affinités de langue et de culture qui les apparentent à tels ou tels de leurs voisins.

L’Allemagne avait depuis longtemps discerné tout le parti qu’elle pouvait tirer de la conformité de langage qui rapprochait d’elle la Suisse orientale. Elle n’a rien négligé pour