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Assemblée constituante et de réviser dans un sens ultra-radical la charte de 1905 : il produisit à la Cour et dans les rangs du Gouvernement une véritable consternation. Un premier conflit surgit entre les représentants de la nation et le pouvoir monarchique à propos de la procédure même de la remise de l’adresse au souverain : l’Empereur refusa de recevoir la délégation désignée à cet effet par la Douma et fit savoir au Président qu’il n’accepterait l’adresse que par l’intermédiaire du ministre de la Cour. Les députés ressentirent d’autant plus vivement cet affront qu’ils avaient mis le plus grand soin à revêtir leurs revendications d’un langage correct et même empreint de loyalisme envers la personne du souverain. Grâce au bon sens de quelques-uns des leaders cadets, ce conflit ne s’envenima pas ; la Douma déclara que c’était la teneur de l’adresse, non le mode de sa présentation qui importait, et reconnaissant que le refus de l’Empereur, qui s’adressait d’ailleurs également au Conseil de l’Empire, n’impliquait aucun blâme à son égard, se soumit à ce qu’elle se plut à considérer comme une simple exigence du protocole de la cour impériale.

Mais bientôt l’antagonisme entre la Douma et le gouvernement s’accentua d’une manière plus aiguë, lorsque’ pour la première fois M. Goremykine monta à la tribune pour lire en réponse à l’adresse une déclaration ministérielle opposant aux revendications de l’assemblée un Non possumus absolu.

La déclaration ministérielle avait été l’objet d’une discussion prolongée au sein du conseil des ministres. Pour ma part, je m’y étais énergiquement prononcé non seulement contre les termes dans lesquels elle était conçue, mais contre l’opportunité même de donner de la part du Gouvernement une réponse à l’adresse de la Douma. Tirant mes arguments de la pratique des assemblées parlementaires de l’Occident, je m’étais efforcé de démontrer à mes collègues que le Cabinet n’avait pas à intervenir dans le dialogue entre le souverain et la représentation nationale et que le seul résultat d’une pareille intervention serait de provoquer un conflit à un moment où il était particulièrement stérile et dangereux. Je recommandai, d’autre part, de soumettre aussitôt à la Douma le plus grand nombre possible de projets de lois, afin de lui fournir matière à des débats et de couper court à ses tentatives d’élargir le cadre de ses attributions.