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agraire nommée par l’assemblée ; ce projet, tout en proclamant le principe de l’expropriation forcée, admettait celui de la « juste indemnisation » des propriétaires et prévoyait la constitution d’un fonds de réserve de terres mis à la disposition de l’Etat. Un second projet, dit des 104, allait plus loin dans la voie radicale et comportait la nationalisation de toutes les terres de l’Empire dont l’administration devait être confiée à des comités locaux issus du suffrage universel intégral. Enfin l’extrême gauche de la Douma avait présenté un projet qui abolissait toute propriété privée du sol et déclarait toutes les terres propriété commune, la jouissance en étant reconnue à tout citoyen ou à toute citoyenne, dans la mesure où ceux-ci pouvaient y appliquer leur travail individuel.

Le Gouvernement, qui s’était déjà laissé enlever par la Douma l’initiative dans cette grave question, ne trouva tout d’abord à opposer à ces trois projets qu’un pâle discours prononcé par le Ministre de l’Agriculture, M. Stichinsky, connu pour son esprit ultra-réactionnaire ; ce discours qui ne contenait que de vagues promesses d’extension des opérations de la banque des paysans et de développement de l’émigration vers la Sibérie, produisit le plus déplorable effet. Mais bientôt le Gouvernement mettait le comble à l’exaspération de la Douma : alarmé par la tournure que prenaient les débats et par l’agitation qu’ils créaient parmi les paysans, M. Goremykine, fidèle à son système d’ignorer la Douma, fit paraître dans le Journal officiel un long communiqué sur la question agraire déclarant nettement que le Gouvernement n’admettait pas le principe de l’expropriation forcée. En choisissant ce moyen pour faire connaître les vues du Gouvernement, c’est-à-dire en s’adressant au pays pour ainsi dire par-dessus la tête de la Douma, M. Goremykine marquait une fois de plus son mépris pour la représentation nationale : ce fut la forme de cette communication plus même que son contenu qui suscita la colère unanime des députés. La Douma résolut aussitôt de répondre « du tac au tac » et chargea la commission agraire de rédiger un projet d’appel direct à la population sous forme de réponse au communiqué du journal officiel. C’est cette résolution prise, ab irato, qui scella le sort de la Douma en donnant, comme on le verra plus loin, à M. Goremykine le prétexte de dénoncer à l’Empereur son appel au pays comme un acte ouvertement révolutionnaire,