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le Considérant toujours comme l’art du seul peintre : or, le modèle aussi y est pour quelque chose. Un portrait est une collaboration. Elle ne va pas toujours sans heurts, sans récriminations et se termine souvent par une brouille, ou, du moins, un réciproque désenchantement. C’est que le peintre et le modèle ont des intérêts différents, qui peuvent, à de certains moments, se confondre, mais qui les acheminent vers deux buts divergents : l’un, faire une belle œuvre, l’autre, se retrouver dans cette œuvre, et non pas tel précisément qu’il est, mais tel qu’il désirait être. Tous deux ont besoin l’un de l’autre pour parvenir à ces fins dissemblables, mais toute la diplomatie d’un congrès, ou d’une conférence, ne suffirait pas à pallier ce que leurs secrets desseins ont d’antithétique et parfois d’hostile. Comme il y a un art de peindre, il y a donc un « art de se faire peindre, » et c’est ce dont je voudrais parler aujourd’hui.

Avant de dire cet art de se faire peindre, il faudrait dire celui de ne se faire peindre point. Un portrait est une grande épreuve, non seulement pour l’artiste, mais pour le modèle. Bien des femmes, notamment, feraient mieux de s’abstenir. Je ne dis pas cela du tout pour les laides. C’est des belles que je veux parler. Ce sont celles qui risquent le plus. On faisait beaucoup d’expositions rétrospectives avant la guerre, à Bagatelle ou ailleurs. On y rassemblait, sous les prétextes les plus spécieux et les classifications les plus arbitraires, quelques belles de jadis. Une réunion infiniment plus piquante et plus instructive serait celle des portraits faits d’après des beautés incontestées et qui furent désavoués par leurs modèles, mis à la cave ou au grenier, après avoir suscité des polémiques sans fin. Si une telle exposition était possible, on trouverait, au catalogue, en même temps que les noms des femmes les plus idéalement belles, ceux des artistes les plus fameux. Sans remonter jusqu’à la Joconde, dont l’histoire est assez obscure, on pourrait mettre, là, tous les portraits d’Isabelle d’Este, de la Gallerani, et des autres beautés de la Renaissance dus aux plus grands artistes du monde et reniés par leurs clientes. Mais c’est chez nos belles contemporaines, surtout, qu’on trouverait des exemples ! Il n’en est peut-être pas une seule qui ne dissimule et ne désavoue quelque traduction de son charme, due pourtant à un mailre.et où, elle s’est jugée trahie. Quelques-unes ont couru toute l’Europe et essayé de