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raison déterminante du portrait. On fait faire son portrait pour soi, ou bien pour quelques-uns, sa famille d’ordinaire, ou bien pour tout le monde. Si c’est pour tout le monde, tout l’intérêt profond et humain de l’entreprise disparaît. Certaines femmes choisissent un portraitiste, comme elles choisissent un chapeau, non pas du tout parce qu’il « fait bien, » mais parce qu’il est la mode, qu’il marquera dans la foule et sera discuté. C’est un point de vue : il n’a rien de commun avec l’art. La plupart, heureusement, veulent autre chose : un beau portrait. Mais comment le rêvent-elles ? Regardez cette femme qui court les Salons, à la recherche de son idéal ? Savez-vous ce qu’elle cherche : un portrait qui s’apparente à sa physionomie, et un peu lui ressemble ? Point. Mais un portrait auquel elle a envie de ressembler. Comme ces richissimes et considérables mondaines de M. Guillaume, qui suivent, dans le double orbe de leur face à main, l’onduleuse démarche du mannequin chez le grand couturier, et se voient déjà telles, elle ne met pas en doute que le même artiste fera de deux femmes différentes le même portrait. Cela peut arriver, en effet, mais c’est qu’alors aucun des deux ne sera l’image du modèle.

Pour l’obtenir, il faut choisir son peintre d’après les analogies de sa couleur avec le teint, et de son dessin avec la silhouette du modèle, et non pas tant pour ce qu’il a déjà réalisé que pour ce qu’il promet. C’est là, surtout, que le jeune artiste, en possession de son art, mais non pas encore prisonnier d’une formule, est capable de réussir. Défiez-vous du maître qui donne à tous ses modèles la même attitude. Il y a des chances qu’il l’ait adoptée, non pas du tout parce qu’elle leur convient, mais parce qu’elle lui convient, — ce qui est tout autre chose. « La moitié de la ressemblance est dans le choix de la pose, » disait Herkomer, qui s’y connaissait. Il y a des airs de tête, des manières de s’accoter, de se redresser, d’écouter, de regarder, de joindre les mains ou de crocher un objet, qui ne sont qu’à vous. Si le peintre les a, déjà, choisis, une fois pour toutes, sans vous connaître, il ne se souciera pas de votre personnalité. S’il est bon coloriste, il pourra faire un bon tableau : ce ne sera pas un portrait.

Votre peintre une fois choisi, laissez-le peindre, il peut avoir des défauts, mais vous ne l’en corrigerez pas : il est trop tard et ce n’est pas le moment de suspendre sa main, ni de