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les promène sur les trottoirs, on les agite avec une ostentation agressive sous le nez de certains personnages, porteurs de brassards blancs, qui rôdent, la mine hargneuse, comme cherchant qui dévorer. Nous ne sommes pas plus tôt débarqués que nous tombons sur une de ces rencontres.

— Saluez la « Vieille Gloire[1] ! » commande l’homme au drapeau.

— Nous voulons la paix ! rétorque l’homme au brassard.

Un pacifiste, vous l’avez deviné. Ils sont encore, aux États-Unis, des millions, qui ne désarmeront qu’à la dernière extrémité. Et je dis bien « désarmer, » car ils sont farouchement belliqueux, ces irréductibles ennemis de la guerre. Conservent-ils quelque espoir d’influencer à la minute suprême l’ininfluençable Président ? Toujours est-il qu’ils ont profité de la réouverture du Congrès pour opérer une descente en masse sur Washington. Nous nous heurtons à leurs groupes presque à chaque pas.

Mais c’est surtout aux abords du Capitole que se presse le gros de leurs forces. Ils ont littéralement investi le palais législatif. Lorsque nous y arrivons, la police est en train de leur faire évacuer les soixante ou quatre-vingts degrés du monumental perron de marbre qui conduit à la Chambre des Représentants. Il parait qu’un de leurs jeunes énergumènes a brutalement assailli dans son bureau le sénateur républicain de Boston, M. Henry Cabot Lodge, qui lui a, d’ailleurs, administré une magistrale correction. Ce n’est pas qu’ils soient tous de mœurs aussi féroces. Ils comptent dans leurs rangs de très nobles esprits, des âmes ardemment convaincues, qui braveraient le martyre plutôt que de mettre leurs actes en désaccord avec leurs principes. Mais ce qu’ils appellent l’apostasie du président Wilson les a désorbités, pour la plupart, et l’idée que ce prophète de la paix, réélu sur un programme de paix, brûle aujourd’hui ce qu’il adorait hier, les a rendus pareils à des fous furieux. Puis, parmi ces moutons enragés, il y a les loups, les faux bergers du pacifisme qui n’en ont endossé la défroque que pour mieux faire sous ce déguisement le jeu de l’Allemagne. Ce sont eux, — est-il besoin de le dire ? — ce sont les agents clandestins des Bernstorff, des Igel, des Rintelen

  1. Old Glory. C’est le nom par lequel les Américains désignent familièrement leur drapeau.