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Ce qui est drôle, c’est qu’on ne s’attendait pas que la frivolité fut le caractère de la littérature au lendemain de la guerre opiniâtre et à la veille d’une paix qui sera certainement laborieuse. Après tant de bouleversements, disait-on, les forces du pays seront toutes consacrées à la réparation générale : on traçait à la littérature un plan de belle activité dans l’œuvre unanime ; et l’on a vite lancé de fortes hypothèses, qui auront le sort de toutes hypothèses, qui se réaliseront, ou ne se réaliseront pas, au gré de causes si nombreuses et cachées qu’un mot les résume assez bien, le hasard.

Et les sceptiques répondaient : — Après la guerre, la littérature sera ce qu’elle était avant la guerre, tout bonnement. Les guerres ne modifient pas la littérature ; et le poète principal du Premier empire, le contemporain de l’épopée napoléonienne, c’est Millevoye ! Les prophéties, quand elles ne sont pas, disait jadis Ernest Havet, « de l’histoire, où l’on a mis les verbes au futur, » les prophéties montrent surtout l’imprudence d’un homme. Sur le léger indice de quelques romans agréables et qui ont été accueillis avec empressement, gardons-nous de croire que nous devinons la littérature prochaine. Du moins y peut-on chercher, avec une curiosité sage et tremblante, les signes, — et non tous les signes, seulement quelques-uns, qui possiblement s’effaceront ou qui se perdront parmi beaucoup d’autres, — les premiers signes de la pensée qui se prépare et qui d’ailleurs subira maintes tribulations.

L’esprit d’une époque se révèle assez bien par les héros de ses romans ; et l’Enfant du Siècle, toute une époque l’a aimé, qui reconnaissait en lui sa mélancolie. Les héros de M. Pierre Benoit ne sont pas du tout mélancoliques ; et c’est leur entrain qu’on admire, ou qui étonne quelquefois. Raoul Vignerte, ce qu’il entreprend, au château de Lautenbourg-Detmold, le rend digne d’un rôle dans un roman de râpe et d’épée. Il ne redoute aucun péril, et même il aurait honte de mener une existence qui ne fût guère périlleuse. Il ne redoute que le tranquille ennui, la sécurité des jours pareils. Il a bien fait de ne pas entrer à l’École normale et de renoncer à la philologie. Cependant, il a garde de ses jeunes études le goût de l’histoire ; mais il utilise l’histoire à ses fins particulières : et ses trouvailles relatives au comte de Kœnigsmark lui seront le moyen d’organiser l’intrigue où il s’agite. Et Saint-Avit, le héros de l’Atlantide, quand on lui montre les cadavres des amants que la belle Antinéa ne voulut pas laisser courir après qu’elle eut cessé d’en être curieuse, il n’a point envie de s’en aller : pas du tout ! mais il se félicite d’avoir devant lui une courte vie