Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/713

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Europe » et « atteint sa crise aiguë dans la guerre mondiale, » le sourire silencieux de M. Venizélos en dit long sur cette théorie d’université germanique. Le président du Conseil des ministres de Grèce se trouvait à Munich au moment où l’Allemagne nous a déclaré la guerre : il revenait de Bruxelles où avait été décidée une conférence avec le grand-vizir de Turquie, en vue d’une entente et de la solution de la question des îles de l’Archipel. Témoin des scènes dont M. Allizé, alors ministre de France en Bavière, rendit compte à son gouvernement, il sait à quoi s’en tenir sur le prétendu pacifisme de l’Empire allemand. M. de Brockdorff-Rantzau parle ensuite de la mobilisation russe qui « ôta, dit-il, aux hommes d’État la possibilité de la guérison et remit la décision entre les mains des pouvoirs militaires. » Les diplomates présents sont trop au courant de l’histoire de ces cinq dernières années, pour oublier la démarche conciliante que l’ambassadeur de Russie à Berlin fit auprès du chancelier Bethmann-Hollweg, par ordre de M. Sazonoff, afin de déclarer que les précautions militaires prises dans les arrondissements d’Odessa, Kiew, Moscou et Kazan n’étaient à aucun degré dirigées contre l’Allemagne et ne préjugeaient pas non plus des mesures agressives contre l’Autriche-Hongrie…

C’est ainsi que les objections viennent en foule à l’esprit des auditeurs de cette harangue. On éprouve d’ailleurs quelque difficulté à suivre les développements de l’orateur allemand, son discours étant morcelé, à chaque instant, par la double traduction en anglais et en français. Il lit une phrase. Puis, il attend qu’on la traduise dans les deux langues. Cette procédure donne des loisirs à ceux qui n’ont pas besoin de ces versions successives. Par exemple, le premier plénipotentiaire de l’État tchéco slovaque, M. Carel Kramar, qui comprend très bien la langue allemande, ayant été accusé, jugé et même condamné à mort en cette langue, profite de ces instants de répit pour prendre connaissance du traité. Lentement, posément, il coupe les grandes pages du livre avec un coupe-papier d’ivoire, et tourne les feuillets, aussi tranquille que s’il étudiait un ouvrage de Sorel ou de Vandal dans la bibliothèque de notre École des sciences politiques dont il fut un des élèves les plus distingués.

Maintenant M. de Brockdorff fait cet aveu :

« Nous sommes prêts à confesser les injustices que nous avons commises. Nous ne sommes pas venus ici pour atténuer la responsabilité des hommes qui ont conduit la guerre au point de vue politique et économique et pour nier les crimes commis contre le droit des