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des deux adversaires rompra brutalement l’équilibre à son profit. »

Ne croyons pas diminuer nos soldats aujourd’hui victorieux, si nous rappelons ainsi leurs doutes contraires, leurs discussions. Les peindre comme des impassibles, ce ne serait vrai que de certains d’entre eux ; j’en ai connu de douloureux, et qui peut être ne furent pas les moins utiles. Dans la Chanson de Roland, les troupes accourues pour venger les morts de Roncevaux se couchent, harassées, dans un pré, au soir d’un succès, à la veille d’un autre succès, et l’angoisse les travaille, et le poète, pour dire cette angoisse, trouve ce grand vers : Moult a apris qui bien connust ahan. Voilà qui est humain, voilà qui est vrai. Pour un savant, le méritoire n’est pas tant de découvrir que de chercher ; pareillement, nos soldats peuvent avouer à leur honneur les tâtonnements, les alarmes, les erreurs même de leur route. Leurs inquiétudes, leurs tourments sont partie intégrante de leur victoire. La dureté de l’effort, la souffrance n’est pas toujours une condition de la victoire ; mais c’en est toujours la plus noble parure, c’en est la seule dignité, c’en est la justification.


Cependant, dès le mois de novembre 1916, il avait été convenu dans les conseils des Alliés que les Britanniques, les Français, les Italiens, les Russes, tenteraient au printemps de 1917 plusieurs actions de grande envergure, simultanées et solidaires. Les Français, pour leur part, devaient attaquer et tourner par les deux côtés les positions fortifiées de l’Aisne, saisir comme dans une tenaille le « saillant » de Noyon.

Il apparut bientôt que les Italiens ne pourraient pas, que les Russes ne voudraient pas participer à ce plan d’ensemble. Déjà, dans les tranchées désormais illusoires du front oriental, les policiers allemands déguisés en soldats avaient entrepris de convertir à l’anarchie les incultes soldats de l’inculte Russie ; elles avaient commencé ces « fraternisations » qui devaient coûter la vie à tant des nôtres, et c’est le 14 mars 1917 que le « Conseil des ouvriers et soldats » de Petrograde avait promulgué l’illustre « prikase n° 1, » qui, supprimant dans les corps de troupe le salut et les honneurs, supprimait donc l’institution militaire elle-même. D’autre part, sur le front de