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sainte guerre. Je pense donc que le meilleur gouvernement sera celui qui opérera une concentration plus énergique du pouvoir, pour mieux la préparer et la faire.

Quel sera le vengeur ? Je ne le vois pas poindre. Le Duc d’Aumale peut-être ? peut-être un sous-lieutenant qui rêve dans une mansarde. Quel qu’il soit, je suis à lui, et j’étudie pour lui la guerre. Je n’ai plus qu’une pensée qui brûlera mon cœur jusqu’au dernier soupir : obtenir justice de l’iniquité de l’Allemagne.

Voilà pour le côté extérieur de notre situation. A l’intérieur, il s’agit de socialisme et d’ultramontanisme. La lutte est entre les deux. Le socialisme est à l’hôtel de ville et l’ultramontanisme à Versailles. Qui les domptera l’un et l’autre ? Je voudrais que ce fût la république, mais elle n’aura pas assez de force. Les d’Orléans, pas davantage, Ici se présente la chance des Bonaparte ou du Césarisme. Je lis l’histoire romaine ; je suis épouvanté des analogies, et je me demande si le Césarisme n’est pas la forme nécessaire des Démocraties. Je repousse cette tentation, mais elle est bien forte.

Maintenant, parlons de nous.

La pensée de votre fils ne m’a pas quitté ; mais je le croyais avec Mac Mahon et je ne savais où et à qui m’adresser pour avoir de ses nouvelles et des vôtres. Quant à votre sœur, c’est moi qui ai à me plaindre plus qu’elle. Je lui ai écrit à Trouville, elle ne m’a pas répondu, et comment aurais-je su qu’elle était à Bruxelles, tandis que par Saint-Tropez, elle pouvait toujours savoir où j’étais. Mais ne récriminons pas. Soyons sans arrière-pensée, à la joie de nous retrouver et de nous aimer. Cette joie est immense en moi, et à son intensité je juge de la blessure cruelle que m’eût été votre froideur. Vous êtes un de ces êtres rares sans lesquels la vie me serait une dureté. Et je me réjouis à l’idée d’être obligé, par mon impopularité et par la haine publique qui s’attachera longtemps encore à moi, à la douce nécessité de me concentrer et de me réduire à ces vieilles amitiés d’autrefois, à mes amitiés des jours d’obscurité. M’y voilà revenu, à ces jours ! Pendant bien longtemps, je vais être à l’écart de tout ; mais ma proscription aura de délicieuses compensations, puisque votre fidélité ne s’est pas laissé ébranler ni déconcerter par le flot de calomnie, de bassesse, de haine qui s’est déchaîné sur mon pauvre nom. Ne vous