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jeunes gens, vêtus de longues robes aux manches largement ouvertes, sur lesquelles est jetée une chemise blanche transparente, qui tombe jusqu’à leurs pieds nus. Une ceinture de femme, en cuir brodé de soie, marque légèrement les hanches. Au côté, le poignard et la boite d’argent où l’on enferme les amulettes, suspendus à l’épaule par une cordelette brillante, dont la teinte s’harmonise avec la couleur de la robe. Les sourcils, les yeux peints ; un anneau d’argent à l’oreille ; sur le front, une frange de cheveux bien lustrée avec de l’huile ; deux grosses touffes sur les tempes ; le reste de la tête rasé, à l’exception de deux longues tresses noires, emmêlées à des fils de laine qui se balancent sur le dos ou sont retenues à la ceinture. Avant la représentation, enveloppés des pieds à la tête dans leurs djellabas grisâtres, le capuchon abattu sur le visage, ils se dérobent aux regards comme des objets d’un grand prix. Aux premiers sons du tambourin, ils se lèvent, se dépouillent de leur terne chrysalide et apparaissent dans tout l’éclat de leur toilette équivoque. Les uns chantent d’une voix de tête suraiguë, que je n’ai entendue qu’ici, en s’accompagnant de rebecs à la musique aigrelette ; les autres dansent, en faisant sonner entre leurs doigts trois castagnettes de bronze, grandes comme des pièces de deux francs. Ils dansent, ou plutôt tournent en rond, dans une promenade rythmée par un léger mouvement des chevilles et des hanches, que vient rompre tout à coup une voile rapide, un brusque tournoiement du corps, un battement plus pressé des pieds nus sur la terre fraîchement arrosée, ou bien quelque figure compliquée, — deux groupes qui se forment, s’emmêlent, se perdent, se retrouvent, tombent aux pieds les uns des autres, se relèvent, s’offrent et se refusent dans un mouvement un peu sauvage, plein d’harmonie, de grâce, de sensualité voilée. Puis tout revient à son rythme paisible, et la lente promenade à petits pas frémissants reprend sa cadence balancée, dont le charme monotone tient l’auditoire envoûté. Envoûté, jusqu’au moment où l’un des petits danseurs, apercevant dans le public un personnage, qu’a sa mise il juge fortuné, bondit, s’élance hors de la ronde, va danser pour lui seul, et reçoit, un genou en terre, une piécette d’argent, mouillée de salive, sur le front.

Il y a les bateleurs du Sous, disciples de Si Ahmed ou Moussa, acrobates sans grand génie, qui feraient sourire de