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enclos plein d’orties apparaît comme un cap de civilisation, l’extrême pointe de l’art moresque profondément enfoncée dans le primitif et le barbare. Que ce soit justement là que soit venu s’épanouir ce qu’a produit de plus parfait la civilisation andalouse dans toute l’Afrique du Nord, cela remue au fond de la mémoire l’énorme poussière du passé, anime d’une vie singulière le souvenir de choses mortes. Des notions qui apparaissaient invraisemblables, et quasi fabuleuses, lorsqu’on les lisait dans les livres, retrouvent leur crédibilité et un air tout naturel. On se remémore, sans en être autrement étonné, qu’au temps où ces chambres funéraires étaient dans leur première fraîcheur, il y avait à Tombouctou une université florissante et des bibliothèques qui comptaient plusieurs milliers de volumes… Une chapelle comme celle-ci permet à l’imagination de jeter de longues passerelles sur de grands espaces vides et d’étendre bien au-delà de l’horizon, où nous les bornons d’habitude, les grandes réussites de la civilisation musulmane.

N’importe ! ce chef-d’œuvre délicat est, ici en exil. C’est une relique d’un inestimable prix, mais c’est une relique, un magnifique accident, quelque chose comme un de ces lacs brillants que la mer laisse derrière elle à la marée descendante. Pour trouver une tombe qui soit vraiment à l’image de cette ville déjà saharienne qui, en dépit de quelques beaux vestiges, reste toujours un grand camp de nomades, il faut sortir de cet enclos, faire trois cents mètres de chemin, longer un mur de boue, et jeter un regard au travers des planches mal jointes, d’une misérable porte rapiécée. On aperçoit alors, sous l’ombre d’un bel abricotier, quelques briques assemblées sans beaucoup d’art et badigeonnées d’une couche de chaux qui s’écaille. Là dort Yousef bon Tachefin, qui fonda Marrakech et conduisit ses hordes de guerriers au visage voilé à la conquête de Grenade et de Cordoue. Bien souvent des mains pieuses ont tenté d’élever les murs d’une Goubba au-dessus de son tombeau. Mais toujours l’illustre mort, habitué à l’espace et à la vie sous la tente, a fait sauter d’un coup de pied ce qu’on édifiait sur sa tête, ne pouvant supporter au-dessus de son sommeil que le toit mouvant des feuilles.