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n’ignorait pas que la protection des Puissances garantes ne la dispensait pas du devoir de veiller la première à la défense de sa neutralité dans la mesure de ses forces. Sous l’influence de ses rois, qui ont toujours vu dans les dépenses militaires la plus impérieuse nécessité, elle a successivement majoré le chiffre du contingent, créé le réduit national d’Anvers (1859), construit les fortifications de la Meuse (1888), complété celles d’Anvers (1905-1906), décrété le service personnel (1909), puis le service général (1912). Aucun de ses deux puissants voisins n’aurait pu l’accuser d’opposer une barrière trop faible à l’invasion de l’autre, si celui-ci était tenté de voir dans notre pays le chemin le plus facile pour pénétrer chez l’ennemi. C’est ce que Léopold II rappelait en 1870 avec une autorité sans pareille.


La Belgique, disait-il, dans la position que le droit international lui fait, ne méconnaîtra ni ce qu’elle doit aux autres États, ni ce qu’elle se doit à elle-même. Conformément aux vœux des belligérants eux-mêmes, elle se tiendra prête à se défendre avec toute l’ardeur de son patriotisme et toutes les ressources qu’une nation puise dans l’énergie de sa volonté.


Cette stricte et rigoureuse observation de notre devoir international n’allait pas sans difficultés. Quand l’un ou l’autre de nos deux voisins était en délicatesse avec l’autre, alors tout, de notre part, devenait matière à suspicion. Il serait long et oiseux de reproduire ici toutes les récriminations allemandes contre les prédilections françaises de la Belgique, contre la prépondérance de la culture française dans ce pays ! Il sera plus instructif pour le lecteur d’apprendre que des observations en sens opposé ne nous ont pas été épargnées en France, et qu’à diverses reprises on y a dénoncé je ne sais quelle mystérieuse entente de la Belgique avec l’Allemagne. Ces récriminations ont pris une particulière acrimonie lors de la construction des forts de la Meuse, en 1888, et pendant les années suivantes. Tandis que le comte de Moltke disait au colonel belge Lahure : « Une partie au moins de vos fortifications de la Meuse semble tournée contre nous, » on se persuadait sans doute à Paris que l’autre partie était tournée contre la France, et on ne s’apercevait pas que ces soupçons en sens opposé se détruisaient mutuellement. Il y eut à Paris une véritable levée de boucliers ;