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deux bataillons « d’expérience » prévus dès 1910, en Algérie, le second ne fut créé qu’en 1913. On accrut bien de quelques autres, — onze en tout, — les unités noires en service au Maroc. Mais, absorbés par les nécessités de la conquête et de l’occupation, ils ne constituaient pas, à proprement parler, une force disponible pour l’Europe. Si bien que l’ « Armée Noire, » matière à d’interminables controverses, comptait en août 1914, non pas, divisions et réservoir, de 200 à 240 000 hommes, qu’elle eût dû mettre en ligne, mais les deux seuls bataillons d’Algérie : c’était un record d’impuissance. N’eût-il point de suites ? Hélas ! rien ne se perd, surtout les fautes. Maintenant que la valeur de nos Sénégalais est non plus contestée, mais constatée, on peut bien dire que la présence à Charleroi de 100 000 d’entre eux, sinon plus, soldats de métier, de deux ans au moins de services, encadrés de vétérans vieillis sous le harnois, troupe sans réservistes, appelée telle quelle d’Algérie sur télégramme de mobilisation, eût vraisemblablement pesé son poids dans la bataille, voire en ses suites. Le choc de la Marne se serait, par exemple, produit sur l’Aisne, refoulant le flot allemand jusqu’à la Meuse : les documents saisis en 1917, lors de notre offensive d’avril, n’ont-ils pas révélé que là aurait été la première ligne de résistance en cas de retraite ennemie ? Ainsi, au second mois de la guerre, notre pays eût peut-être été sauvé de l’invasion… Conjecture chimérique ? Qui sait ? Regrettons, en tout cas, que tout commencement d’exécution lui ait été interdit par d’éternels « partages, » comme dirait notre actuel Président du Conseil. Et puis, pourquoi, de parti pris, renoncer au gravier de Cromwell ?


UN DOUBLE SACRIFICE (1914)

Ce fut donc sous cette forme rabougrie, les deux bataillons « d’expérience, » que les vastes projets d’Armée Noire soutinrent l’expérience suprême. Si minime flot humain dans l’océan des multitudes qui s’affrontaient, pour prouver sa vaillance, que pouvait-il espérer ? Le sacrifice, spécialité précisément du soldat noir. La fortune lui en échut, dès l’automne de 1914, dans les brumes glacées des Flandres.

Venu d’Orléansville et de Laghouat, le 2e bataillon, — bataillon Debieuvre, — arrivé le premier, prenait contact avec l’ennemi à Reims, à la fin de septembre.