Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/865

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre 75. Le soir, à huit heures, nous recevons l’ordre de rembarquer… Notre opération est une simple feinte qui nous coûte 17 officiers et 780 hommes. Un obus lourd, à neuf heures, nous tue soixante hommes, en blesse autant, volatilise mes bagages en criblant mon ordonnance de trois éclats…

L’opération délicate du repli et du rembarquement réussit à merveille. Pendant son cours, une balle me traverse le bras gauche… rien de cassé… première blessure…

Le premier mai, au soir, nous sommes campés depuis trois jours en deuxième ligne, sur un mamelon faisant suite au point de débarquement face au Nord. Devant nous, une petite plaine, celle de Morto-Bay. Au-delà, d’autres hauteurs montent en pentes douces vers le haut sommet d’Achi-Baba, qui domine la région. Notre première ligne est sur ces pentes, le…e colonial mixte à gauche. Un combat furieux, commencé le 1er à huit heures du soir en masses profondes, a crevé la ligne mince d’un bataillon sénégalais au feu depuis quinze heures. Ordre au…e colonial d’aller à la rescousse. Nous partons en hâte.

Nous sommes au pied des hauteurs, au bas d’une falaise de trente à quarante mètres. Au haut, une fusillade enragée, des cris, des vociférations. Derrière, cinq batteries tirent à toute volée dans un flamboiement continu. Une fièvre d’enfer dans l’obscurité.

Nous grimpons la falaise. Les Turcs sont là à cinquante mètres, poussant leur charge victorieuse avec une énergie farouche. Il n’y a pas à tergiverser, ni à faire calculs ni problèmes… « Allons, mes Marsouins, en avant : A la baïonnette ! » Et mon premier bataillon (européen) part comme une trombe, avec un élan magnifique. Mes Tirailleurs sénégalais suivent avec la même vigueur. Le lieutenant-colonel Vacher, commandant le…e mixte, luttant désespérément avec une poignée d’hommes, fait sonner la charge de son côté et nous ramenons les Turcs, non seulement jusqu’à nos tranchées perdues, mais à huit cents mètres au-delà…

…La 1re division, partie de France à 14 000 hommes, a perdu, en dix jours de bataille, 200 officiers et 9 000 hommes… Je suis parti de Toulon avec 54 officiers et 3 000 hommes, le 4 mars. Il reste, le 9 mai, quatre officiers (dont moi, deux fois blessé), et 900 hommes. Mon troisième bataillon (Sénégalais), parti à 1 000 hommes environ est à 250.

Le morceau était dur. Il l’est encore. Derrière leurs tranchées, nous retrouvons les Turcs de Plewna et de Tchataldja.