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Bordeaux. Cette installation improvisée d’un effectif relativement considérable, — un peu plus de 50 000 hommes, — n’alla point sans quelques difficultés.

La matière recrutable noire est ce qu’elle est. Elle a ses qualités, sobriété, rusticité, insouciance, mais aussi ses défauts et ses sensibilités : nosologie particulière, propension à certaines affections et non à d’autres, notamment à celles des voies respiratoires quand l’acclimatement est brusqué. Bref, la troupe noire est, physiquement, plus solide à divers égards, moins à d’autres, que la troupe blanche : elle en est différente. Un tel état de fait impose des données inéluctables à son dressage et à ses conditions d’instruction. Les négliger serait la coucher sur un lit de Procuste.

Créer de véritables villes noires de plusieurs milliers d’habitants en quelques mois et dans l’état de guerre de notre main-d’œuvre ne fut pas une minime affaire. La direction des troupes coloniales du Ministère de la Guerre s’y mit de tout cœur et réussit à résoudre a temps et suffisamment le problème : le pays lui en doit une assez belle reconnaissance. Sans doute, ne put-elle réparer parfaitement le temps antérieurement perdu et quelques lacunes en résultèrent-elles dans l’instruction de certaines unités sénégalaises. Mais, elle n’en livra pas moins cependant aux armées d’opération, à la fin de mars 1917 vingt-six bataillons noirs, — 30 000 hommes environ, — dont certains, notamment les six qui composaient les 57e et 58e régiments d’infanterie coloniale (colonels Jacobi et Debieuvre), forts chacun de plus de 3 500 hommes, n’avaient peut-être pas leurs égaux, à l’époque, dans toute la’ masse de manœuvre constituée pour la campagne de printemps.

L’offensive du 16 avril, a soulevé naguère et soulève aujourd’hui trop de polémiques pour qu’un profane s’avise d’y toucher. Je crois cependant pouvoir, sans en provoquer de nouvelles, et en me plaçant à un point de vue purement objectif, affirmer que le général Nivelle se proposait comme but la destruction de cette absurdité stratégique, le front, où, enlizés depuis trois ans, nous subissions, au prix de pertes considérables, la volonté envahissante de l’ennemi et l’obnubilation de toutes nos qualités offensives de race guerrière dans l’espace et le temps. Cette fin supposait naturellement des moyens appropriés de grande envergure, tout à fait