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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/886

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Véron, qui ne pouvait qu’obéir. Le 17 février, après avoir envoyé un ultimatum « à Atchinof et n’ayant pas reçu de réponse, cet officier lança sur Sagallo des obus qui tuèrent des femmes et des enfants. Ce malheur, qui, avec un peu plus de modération et de prudence, aurait été évité, eut par toute la Russie un bruyant retentissement.

C’est de la bouche même de l’Empereur, à un bal de cour, que Laboulaye en reçut la nouvelle ; il n’eut aucune peine à démontrer que ce déplorable événement était le résultat d’un malentendu, et l’Empereur parut se contenter de cette explication, ne méconnaissant pas qu’en cette affaire la principale responsabilité devait être attribuée à l’auteur de l’entreprise plus encore qu’aux autorités françaises qui n’auraient pu tolérer qu’elle fut exécutée jusqu’au bout. Il avoua même qu’Atchinof n’était qu’un aventurier : « Par ses mensonges, il a indignement trompé ses compagnons. Un officier que j’avais chargé d’aller le mettre à la raison devait partir demain. Maintenant c’est trop tard. C’est de Constantinople que j’enverrai quelqu’un pour rapatrier ces malheureux. » Malgré cette réponse conciliante, il laissa la presse russe accuser les marins de la République d’avoir manqué de prévoyance et d’humanité. Il fallut, pour mettre un terme à cette campagne, une communication officielle du gouvernement impérial, présentant l’affaire en des termes propres à diminuer ce que l’opinion appelait les torts de la France. L’incident s’oublia, mais le ressentiment national ne se serait pas aussi vite dissipé si, dans le bombardement, des popes avaient péri ; heureusement, tous avaient eu la vie sauve, ce qui facilita l’apaisement. Au surplus, les Russes comprirent bientôt que ce n’était pas le moment de se brouiller avec la France. Outre qu’elle facilitait leurs emprunts, exerçait une active surveillance sur les nihilistes réfugiés sur le territoire de la République, l’état de l’Europe imposait à l’Empire des Tsars l’impérieuse nécessité de maintenir l’entente qui de plus en plus se créait entre les deux pays.

Depuis que l’Autriche, expulsée de l’Allemagne et de l’Italie, n’avait d’autre champ pour sa politique que l’Orient et les Balkans, l’antagonisme dans lequel cette situation la plaçait vis-à-vis de la Russie, qui ne pouvait permettre la création d’un second Empire slave, divisait forcément l’Europe en deux