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Quant à la population civile, les commandants militaires des cercles avaient le droit absolu de faire déporter, où il leur plaisait dans l’Empire, toute personne suspecte d’attachement à la France[1]. La manière de voir des autorités militaires se résume dans la réponse que le général Gaede, commandant l’armée, adressait à un des vice-présidents de la deuxième Chambre, qui était venu intercéder en faveur de la population de l’Alsace-Lorraine : « Dans toute cette population il court comme un fluide de trahison. » Faut-il s’étonner qu’un pays ainsi traité ait montré une aversion de plus en plus vive contre ses maîtres ?

Au début de 1917, les milieux pangermanistes, si influents dans l’Empire, inquiets de l’état d’esprit que la multiplicité des condamnations révélait dans le Reichsland, inclinaient de plus en plus à supprimer l’autonomie relative dont ce pays jouissait depuis 1911. Ils parlaient ouvertement d’attribuer la Lorraine à la Prusse, la Basse-Alsace à la Bavière, et la Haute-Alsace au grand-duché de Bade ou au Wurtemberg. En démembrant ces provinces, on diminuait leur capacité de résistance, et on espérait que chacune d’elles serait rapidement absorbée par l’organisme germanique auquel elle servirait de proie. Des négociations étaient déjà engagées à ce sujet dans le Bundesrath, le conseil fédéral où les divers États allemands devaient régler entre eux le sort de la Terre d’Empire avant de faire ratifier leur décision par le Reichstag. Sans doute une vive opposition de celui-ci était à prévoir, mais ne céderait-il pas, si on réussissait à le convaincre que le salut de l’Empire était attaché à cette mesure ?

Lorsqu’on apprit au milieu de mai la convocation du Landtag d’Alsace-Lorraine, un journal officieux, la Strassburger Post, supposa qu’il s’agissait de faire connaître au pays les termes d’un accord, qui aurait enfin été conclu entre la Bavière et la Prusse[2]. Autour de ce pays réduit au silence, se livraient des marchandages que plus tard un journal allemand décrivait en ces termes : « La censure remplissait très strictement son office. Toutes les affaires d’Alsace-Lorraine étaient soustraites à la discussion. Le Statthalter avait tellement

  1. Parmi les notables qui furent soumis à ce traitement, on peut citer M. Zimmer, maire de Thionville et membre de la deuxième Chambre.
  2. Etsasseï’ du 18 mai 1917.