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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/11

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rencontre, la maxime de gouvernement des Habsbourg, telle que l’avait énoncée l’empereur François II :

« Mes peuples, disait-il, sont étrangers les uns aux autres, et c’est tant mieux. Ils ne prennent pas les mêmes maladies en même temps. Je mets des Hongrois en Italie et des Italiens en Hongrie, chacun garde son voisin. Ils ne se comprennent pas et se délestent. De leurs antipathies naît l’ordre, et de leurs haines réciproques la paix générale. »

C’était sa façon, à lui, d’être l’Imperator pacificus, et de réaliser dans les faits la resplendissante parole du pape Urbain IV, invitant les empereurs de jadis à « faire asseoir le peuple chrétien dans la beauté de la paix. » Pour que l’Autriche soit bien gouvernée, reprenait sous François-Joseph le comte Taaffe, « il faut que personne ne soit content. » C’est en organisant et en régularisant la guerre intestine entre ses diverses populations, en acceptant le bras du Croate contre la révolte du Magyar et puis en imposant le joug magyar aux épaules croates, en excitant l’Italien contre le Slave et le Slave contre l’Italien, et même, parmi les Slaves, le Croate catholique contre le Serbe orthodoxe ; c’est en cultivant savamment et méthodiquement les haines, que la dynastie des Habsbourg prétendait vivre. Montalembert la qualifiait, dès 1832, de » grande prêtresse de l’oppression[1]. » Silence aux principes du vieux droit public chrétien, à la notion thomiste de l’ordre, — cette « tranquillité dans la justice, » — à l’aspiration franciscaine vers la paix, cette « unité dans l’amour ! » Sous les auspices du sceptre impérial, l’ordre et la paix, tels qu’on les concevait à Vienne, avaient pour base la haine. Avec ses diverses nationalités longuement et fidèlement éprises du même prince l’Autriche pouvait être le champ d’expériences où les antiques maximes de la chrétienté eussent repris une vertu nouvelle : de cette vieille Europe chrétienne, une et diverse, elle était tout ce qui subsistait ; mais, grâce aux procédés gouvernementaux des Habsbourg, cette survivance avait l’aspect d’une caricature.

L’Eglise est patiente, et ses liturgies continuaient de recommander aux prières cet empereur François-Joseph à qui jadis les évêques de son Empire avaient si vainement formulé la devise d’un grand règne, mais l’Eglise constatait qu’héritière

  1. Préface au Livre des Pèlerins Polonais, p. LXI.