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étouffer, en un certain nombre d’âmes catholiques, le sentiment des libertés nationales et l’aspiration vers le rayonnement de l’Eglise. Il y avait de tout parmi elles : des Franciscains et des Jésuites, des chanoines rentés, de pauvres jeunes clercs, quelques évêques.

Valachie, Moldavie, Transylvanie, au début du XVIIIe siècle, étaient en passe d’oublier les ancêtres latins qui, par leur sang, par leurs socs, par leurs tombes, avaient fait de ces terres des terres de « Romanie. » Dans la plaine transylvaine, que les traités de Carlowitz avaient mise sous la domination de Vienne, Saxons, luthériens et Magyars calvinistes étaient les maîtres : la timide Eglise orthodoxe ne les gênait point. Mais en face de ces oppresseurs une voix s’éleva, pour rappeler l’ancienneté des Roumains, et ce que ce sol leur devait, et leur supériorité de nombre, et leurs dons de gouvernement ; cette voix, qui réclamait qu’ils fussent reconnus, en Transylvanie, comme « nation politique, » était celle de l’évêque catholique Jean-Innocent Micu, — l’évêque Klein, comme l’on disait dans les bureaux de Vienne, où l’on germanisait son nom, faute de pouvoir germaniser son esprit. Il se dressa devant la Diète transylvaine ; au nom même du droit naturel, il plaida pour la nation roumaine. Allons donc ! l’interrompait-on, il n’y a pas de nation roumaine, il y a des Roumains, une plèbe roumaine ! On parlait d’eux comme d’une propriété ; on les proclamait « superstitieux, méchants, fauteurs de désordres, prolifiques, indignes de privilèges nationaux. » On niait qu’ils fussent un peuple : Micu, solennellement, un jour de l’année 1744, les groupant en un meeting immense, les baptisa peuple. Vienne se fâcha, le nonce s’interposa pour lui. Quand même, on fit à Micu son procès. Il s’en fut à Rome, où il mourut ; et longtemps les Transylvains qui visitaient la ville des Papes montèrent à l’église d’Ara Cœli pour invoquer dans sa sépulture ce tribun mitre[1].

Rome d’ailleurs devenait pour eux un foyer de réveil national. Quand le gouvernement de Vienne envoyait au Collège de la Propagande des clercs de Transylvanie, il les destinait, uniquement, à faire de la théologie. Mais ces clercs trouvaient à Rome d’autres leçons : ils y rencontraient un docteur dont

  1. Jorg, Histoire des Roumains de Transylvanie et de Hongrie, II, p. 78 et suiv.