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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/282

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jeunes États slaves qui désormais libèrent l’accès des Balkans. Elle s’outille pour l’union des Eglises, survivance immortelle de la défunte idée de chrétienté ; elle voit à côté d’elle, en dehors de son influence, cette idée même s’essayer à revivre, sous le vocable de Société des Nations ; elle observe, elle écoute ; elle est prête à relier l’avenir et le passé, dès que le présent le permettra. Et tandis que le souvenir de certaines servitudes lui défend de pleurer sur ce qui est mort, elle peut sourire au monde nouveau, qui parfois, sans le savoir, pense comme elle, et, sans le vouloir encore, parle comme elle.


I. — LES EMPIRES DÉCHUS ET LA LIBERTÉ DE l’ÉGLISE

Le cardinal Manning, qui avait emprunté à la plus stricte théologie romaine sa conception de l’autorité et aux mœurs anglo-saxonnes sa conception de la liberté, considérait la dictature spirituelle de l’État, de quelque forme qu’elle se revêtît, comme l’adversaire par excellence du christianisme : Dieu ne s’était pas fait homme pour qu’un César continuât de se faire pontife.

La dernière guerre a été meurtrière pour le Césaropapisme : religieusement parlant, c’est lui le grand vaincu. Il s’épanouissait en Autriche dans ce qui restait du vieil appareil joséphiste ; il s’affichait en Prusse dans la personne de Guillaume II, évêque souverain de l’évangélisme national ; il possédait dans l’Empire des Tsars une organisation perfectionnée. En Autriche, nous l’avons vu, l’Eglise avait, d’elle-même, commencé lentement de se libérer ; en Allemagne et en Russie, elle devait se montrer plus patiente, pour éviter de plus grands malheurs.

De la Vistule au Pacifique, le Tsarisme prétendait à l’hégémonie sur les âmes : « la fidélité au Tsar, écrivait Michelet, c’est en Russie toute l’éducation religieuse[1]. » Il semble bien que les grands romanciers du XIXe siècle attribuaient à l’esprit de l’Évangile, dans la formation de l’âme russe, une part plus grande que la vérité historique ne l’eût comporté ; et les saturnales de violence où nous voyons sombrer, là-bas, des cœurs qui se réputaient fraternellement aimants, justifient le pessimisme de Joseph de Maistre, observant jadis que « le

  1. Michelet, Légendes démocratiques du Nord, édit. Michel Bréal, p. 485 Paris, 1899.