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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/285

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ne sont plus. Il n’y a plus aujourd’hui de grande Puissance dans laquelle s’incarne, même d’une façon approximative, la conception médiévale du vicariat temporel de Dieu : malgré l’idéal de justice et d’harmonie auquel elle tentait de répondre, elle a fini par péricliter, desservie de siècle en siècle par les abus souvent odieux et toujours puérils qu’exerçaient les vicaires temporels contre l’autonomie du vicaire spirituel.

Cette autonomie voulue par le Christ, et sans laquelle le christianisme ne serait pas, n’a rien à redouter de ces autres Puissances auxquelles la guerre a donné la victoire : entre l’autorité du pouvoir religieux et la liberté docile des consciences individuelles, ces Puissances-là ne s’interposeront point. L’Eglise préférera toujours, en fait, certains régimes de liberté réciproque des deux pouvoirs, — plus ou moins improprement qualifiés de séparation, — aux oppressives ingérences d’un césarisme spirituel. Théoriquement, à vrai dire, pour que fût réalisé son immuable idéal, il faudrait que l’union religieuse des âmes fût devenue si parfaite que la société civile elle-même ne fit qu’épanouir leur vie collective en s’inspirant, dans son droit public, de leur unanime Credo religieux ; et l’Eglise ne considérera jamais comme l’expression définitive de la vérité sociale ni comme la forme ultime du progrès humain, les doctrines de politique religieuse qui, de par la force des choses, constatent comme un fait l’émiettement des âmes, et qui le ratifient. Mais en même temps que ces doctrines interdisent aux Puissances dont elles sont la charte, d’être ou de paraître les servantes de l’Eglise, des mœurs politiques s’établissent, qui leur font répudier comme un archaïsme la pensée d’exercer une dictature spirituelle : le péril césaropapiste est balayé.

L’envoi par le gouvernement britannique, en 1914, d’un ambassadeur auprès du Vatican, et la participation cordiale que prennent les autorités civiles des États-Unis à des solennités telles que le jubilé du cardinal Gibbons, attestent que, même sous un régime théorique de séparation, l’État peut connaître l’Eglise et causer avec elle. Mgr Julien, évêque d’Arras, qui fut à ce jubilé l’un des représentants de la nation française, célébrait à son retour « la chaude atmosphère de liberté, de respect et de sympathie même, qui entoure aux États-Unis les hommes et les choses d’Eglise, de quelque Eglise que ce soit. Les Eglises et l’État, continuait-il, sont séparés,