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germanisme voulait exercer vers l’Orient, l’Autriche avait reçu de Berlin des instructions, une feuille de route, des subsides ; elle prétendait associer à cette équipée toute germanique, dont l’oppression du Balkan slave devait résulter, l’Eglise romaine elle-même. La foi de Rome, arborée dans cet équipage, risquait d’apparaître comme l’ennemie des Slaves ; mais qu’importait à l’Autriche ? Les heureux pourparlers du cardinal Merry del Val avec M. Vesnitch honorèrent l’Église en marquant la fin d’une grande équivoque ; les Balkans respirèrent, Rome aussi[1].

D’aucuns songeaient avec mélancolie qu’en 1912, sous les regards d’un légat pontifical, l’Autriche avait déroulé, dans les rues de Vienne, les éclatantes manifestations du Congrès eucharistique international ; ils se rappelaient ces étincelants cortèges, le contraste entre l’humilité eucharistique et les pompes d’hommage qui saluaient cette humilité ; Dieu cheminant, et derrière lui l’Empereur, et puis l’État tout entier ; et la vie entière d’une capitale suspendue dans une pause recueillie, pour encadrer un grand acte religieux dans lequel le souverain faisait acte de fidèle. Rome, murmuraient-ils, a-t-elle donc oublié tout cela ?

Mais non, Rome se souvenait, d’une mémoire très exacte, qui n’exagérait pas l’importance de ces édifiants événements, et qui ne la dépréciait pas non plus. Elle savait, aussi, que l’urgence de certains problèmes, qui intéressaient la vie spirituelle profonde de toute une partie de la chrétienté, survivait à ces pompes grandioses ; puisque l’Autriche, par un mélange de débilité et de sénilité, avait laissé ces problèmes s’exacerber, puisque l’heure était mûre pour les trancher, Rome n’admettait plus qu’aucun d’entre eux demeurât en suspens, pas même celui de la liturgie. Le Concordat stipula que, « dans les paroisses du royaume serbe qui, eu égard à la langue parlée par leurs fidèles, seraient nommément désignées par le Saint-Siège, les catholiques de rite latin pourraient, dans la liturgie sacrée, se servir de la langue paléoslave[2]. » L’avenir commençait de sourire aux liturgies du passé. Strossmayer

  1. Le cardinal Marini, dès la fin de 1913, publiait dans le Bessarione, p. 523-528, un article qui s’intitulait d’une façon bien suggestive : « L’union des Églises orientales et la formation des nouveaux États balkaniques. »
  2. Sur le Concordat serbe, voyez les Nouvelles religieuses, 15 mars 191S, p. 163-167, et Bessarione, 1914, p. 260-272.