Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

creux de sa main. Nulle femme ne se coifferait jamais d’un diadème aussi lourd, ni aussi éclatant.

Diadème un peu chimérique, il est vrai, mais d’autant plus splendide : « Roi des Romains, Empereur d’Allemagne, , » c’étaient alors des titres honorifiques, des symboles, des enseignes de monuments à venir, quelque chose comme l’écriteau placé à l’entrée d’une rue à bâtir, mais qui n’existe pas. A l’horizon de cet Empire, on apercevait confusément des villes immenses et prospères, des cassettes contenant des milliers de florins, des châteaux crénelés garnis de bombardes, des tours pointues, des clochers, des toits descendant en pentes raides, presque à pic, sur des fenêtres innombrables, des boutiques pleines de victuailles et des manufactures serrées autour des hôtels de ville par la ceinture dentelée des remparts : tout ce qu’on voit aux arrière-plans d’Albert Dürer, dans les magnifiques images qu’il nous a laissées de l’Allemagne d’alors. Et l’aigle de Maximilien projetait hautainement, sur ces riches territoires, l’ombre déchiquetée de ses ailes héraldiques. Mais quant à lui, le futur empereur, il lui fallait pour y parvenir, traverser la forêt âpre et rocailleuse, droit, tout en fer, sur son lourd destrier, au milieu de mille monstres et mille ronces hostiles. Les terribles guerres et les difficultés inextricables où il était engagé, tantôt contre les rois, tantôt contre les Papes, tantôt contre les républiques, lui laisseraient-elles jamais le loisir de s’occuper de sa femme ? Elle ne le savait guère, ou plutôt elle ne savait rien. Elle ne connaissait ni le mari qu’on venait de lui donner, ni le pays qu’elle allait habiter, ni la langue qu’elle entendrait parler autour d’elle, — moins encore les mœurs, les idées, les traditions de ces ultramontains, de ces « forestiers, » qu’elle devinait puissants et mystérieux dans leurs montagnes, séparés du monde latin par ces crêtes dentelées et bleuissantes qu’elle voyait, comme nous, au fond des tableaux de Léonard, derrière les têtes pensives de ses Dames ou de ses Vierges, fermant l’horizon.


ROBERT DE LA SIZERANNE.