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artilleurs, mais dont les chevaux ont été retirés à temps. Au total « casse assez faible. »

C’est bien autre chose à Nieuport, Là, pas un jour, pas une nuit ne se passent sans que la ville reçoive sa ration de projectiles lourds. Si jolie naguère, dorée et comme sacrée par le temps, Nieuport-la-Noble ne mentait pas à son nom ; mais sa noblesse n’était ni d’épée ni de robe. Elle lui venait de la mer qui avait fait sa fortune et qui lui avait ensuite préféré d’autres rivales. Quelques vieilles maisons à redans, le long d’un quai somnolent où flottaient des arômes de goudron et de bois de Norvège, évoquaient encore jusqu’au 15 octobre 1914, avec leurs ancres en fer forgé et les filets enroulés à leurs perches, l’époque de cette prospérité, Nieuport, avant Ostende et Dunkerque, avait été la métropole de la pêche maritime et le grand entrepôt de laines de la Flandre. Il lui plaisait de s’en souvenir. Réduite de ce haut rang à la condition de garde-watteringhe, de portière des écluses flamandes, elle se réfugiait dans son passé et mettait tous ses soins à en préserver les moindres vestiges. Henri Malo nous a rapporté les touchants efforts de M. de Roo, qui fut le dernier bourgmestre de Nieuport, et de M. Dobbelaër, secrétaire communal, pour constituer un musée de souvenirs locaux, identifier les fastueuses pierres tombales des magistrats et des seigneurs de la période espagnole, dégager les anciens remparts de Philippe le Bon et retrouver, sous le badigeon des façades, les chiffres de fer qui formaient comme un registre à ciel ouvert des naissances immobilières de la cité. L’édilité nieuportaise n’avait-elle point poussé le raffinement jusqu’à exiger qu’aucune maison ne fût reconstruite sans qu’on lui en eût soumis les plans et n’obligeait-elle point les entrepreneurs à n’employer que des briques de la plaine maritime taillées d’après les anciens procédés ? Tant de piété pour ses origines, un culte si fervent et si minutieux du passé, n’eussent pas manqué d’attendrir un ennemi moins barbare. Mais il semblait qu’ils eussent accru la rage de celui-ci : l’église Notre-Dame, qui avait quelques parties du xiie siècle, époque où elle fut consacrée par l’évêque de Térouanne, mourait pierre à pierre et son beau chœur ogival était la caverne des vents ; les Halles, décapitées de leur beffroi, le gracieux refuge de l’Abbaye des Dunes, qu’élurent pour résidence les archiducs Albert et Isabelle et dont les fenêtres à meneaux sertissaient des vitraux