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noires. Précédés par des officiers en khaki ou bleu horizon, qui les guident vers leurs places, ces deux hommes sont suivis de deux ou trois secrétaires de leur délégation, également vétus de noir.

On sait que ce sont les remplaçants du comte Ulrich von Brockdorff-Rantzau et des doctes professeurs qui formaient sa suite. Tout le personnel féodal et universitaire de l’Allemagne impériale a disparu, au moment de l’échéance. En l’absence de tous ces seigneurs et docteurs, aujourd’hui défaillants, voici M. Hermann Müller, qui est un personnage dans la « Sozialdemokratie. » Il est devenu ministre des Affaires étrangères. De sa carrière politique, peu connue chez nous, le plus mémorable épisode, c’est le voyage qu’il fît à Paris, vers la fin du mois de juillet 1914, afin d’apporter à nos socialistes l’assurance formelle que les « sozialdemokrates » du Reichstag ne voteraient pas les crédits de guerre, demandés par le gouvernement du Kaiser. Ce qui n’empêcha pas, du reste, ces « sozialdemokrates » de voter à l’unanimité ces crédits dans la séance du 4 août... L’autre ministre allemand, M. Bell, assis à la gauche de M. Müller, a encore moins de notoriété que son collègue : c’est un homme très brun, avec une moustache très noire, peu de front, des cheveux noirs et drus, hérissés. Une paire de verres fumés, entourés d’écaille, couvre son regard. Le drap noir de sa redingote fait ressortir vivement, au-dessus de sa cravate noire, la blancheur d’un grand faux-col empesé et raide. Les délégués de l’Empire d’Allemagne ont adopté la tenue d’enterrement.

L’ordre du jour de cette séance, nécessairement brève, ne comporte pas de longs discours. Une seule voix se fera entendre, une voix française, celle de M. Clemenceau, président de notre conseil des ministres et président de la Conférence de la Paix. En quelques mots, sans phrases, cette voix, très claire, très nette, résume et définit la situation. Les délégués allemands sont invités, purement et simplement, à signer le traité, dont le texte est certifié conforme aux deux cents exemplaires qui ont été mis à leur disposition. « Les signatures vont être données, qui vaudront un engagement irrévocable d’accomplir, d’exécuter loyalement et fidèlement, dans leur intégralité, toutes les conditions qui ont été fixées. » L’orateur appuie sur ces mots : Irrévocable... Loyalement... Fidèlement... Un interprète s’approche de MM. Müller et Bell, pour leur traduire ces paroles. Sans rien répondre, ils se lèvent, quittent leur place. On le dirige vers la table de la signature. A ce moment, le silence est terrible dans la salle muette. Les plénipotentiaires alliés sont impassibles