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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/594

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l’avait épousée par pure politique, comme Bianca, mais il s’était trouvé que cette riche héritière d’un duché beau comme un royaume, possédait une âme ardente et fine comme une pierre précieuse et qui s’alliait à la sienne. Une gravure sur bois, du Roi Blanc, ce récit romanesque où il raconte sa propre vie, nous montre le couple royal assis dans un jardin. C’est le jardin clos du Roman de la Rose, celui que chante Hans Sachs, le poète qui devait bientôt prendre son essor à la Cour même du mystérieux empereur. Lui, Maximilien, est emmitouflé dans sa grande robe royale, et couronné de laurier. Elle, Marie, est coiffée du hennin en beaupré, avec des manches longues et étroites laissant pointer tout juste le bout des doigts. Et ces deux amoureux, parmi les fleurs, que font-ils ? Ils s’enseignent mutuellement leur langage maternel. Elle lui apprend le français : il lui apprend le vieil allemand. Et le paysage autour d’eux et la jeunesse du cœur en eux-mêmes leur fournissent les thèmes des mots à dire et à traduire, avec ceux aussi qu’aucune langue humaine n’a jamais su traduire, ni ne traduira jamais.

Ah ! ce n’est pas avec Bianca qu’il eût inventé pareil passe-temps ! Elle offre, avec Marie, sur tous les points, une complète antithèse. Pour en juger, il suffit de les voir toutes les deux, ressuscitées en bronze, debout, autour de son tombeau, sur le parvis de la cathédrale, à Innsbruck. Le visiteur, qui passe entre les deux haies de héros farouches et de dames parées, qui forment autour de l’Empereur cette « mesnie de la mort, » les reconnaît tout à coup. Elles ne sont pas ensemble : Marie de Bourgogne est d’un côté, près d’Elisabeth de Hongrie, Bianca Maria Sforza est de l’autre, entre Marguerite de France et Siegmund de Tyrol. En comparant ces deux figures, on a le sentiment qu’on a passé d’un siècle et d’une civilisation à l’autre. Elles sont contemporaines, pourtant, ou quasi contemporaines. Mais l’une est tournée vers le passé, l’autre vers l’avenir. Marie de Bourgogne porte encore le hennin et le touret de front du moyen âge. Bianca n’est coiffée que de ses cheveux, comme dans le portrait du Louvre, auxquels est seulement ajustée une sorte de couronne. Les « crevés » qui gonflent à ses épaules et aux coudes et les dessins de sa robe de brocart annoncent la Renaissance. La disposition des bijoux l’annonce aussi. C’est l’éphémère toilette d’un jour, qui est soigneusement