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A Monsieur de Jonquières.


18 février 1873.

L’article de M. de Laurentie sur la mort de l’Empereur était noble, élevé et respectueux. Seulement, je ne comprends pas pourquoi il conteste le droit de la nation à se constituer son gouvernement, et à se choisir une dynastie. Notre ancienne royauté n’avait pas d’autre origine, et à chaque sacre, excepté à celui de Louis XVI où cela fut retranché malgré Turgot, un héraut s’avançait et demandait au peuple s’il ne s’opposait pas, pour rappeler l’antique investiture nationale. Et il n’est pas un publiciste royaliste qui n’ait reconnu qu’au cas d’extinction de la dynastie, c’est à la nation qu’appartenait le droit d’en choisir une autre. Si je ne craignais pas de faire du pédantisme et d’insister sur un fait certain, je citerais sur ce sujet des pages de Saint-Simon.

Nous sommes littéralement ensevelis dans une neige qui ne cesse de tomber depuis deux jours. Le ciel est brumeux, sombre, bas, la terre au contraire couverte de plusieurs centimètres d’une couverture blanche et lumineuse, et c’est d’elle que semble venir le jour. L’effet est fantastique. On se sent vraiment tout à fait séparé des humains, et rien ne me rappellerait la vie actuelle, si la cloche argentine de Pollone ne m’annonçait qu’on prie pour un malade dangereusement atteint et ce malade est le digne évêque de Biella, Mgr Losana, un ami de mon exil.


A la princesse Wittgenstein.


Pollone, 20 mai 1873.

Ma chère princesse, me voici bien rentré et gardant dans mon cœur le souvenir vivant des heures si douces, si élevées passées avec vous et qui ont ajouté encore à la majesté de Rome.

Toutes les lettres que je reçois de Paris sont à l’épouvante : je partage les craintes sur l’avenir présent, non sur l’avenir définitif ; je suis certain que la France se retrouvera plus forte, plus grande et plus glorieuse qu’elle le fut jamais. Ce n’est pas seulement mon amour passionné pour elle qui m’inspire ces prévisions :