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5 heures du soir nos portes n’avaient pas été trop fortes. »

Déjà pourtant, au 57 m/m du début, avait succédé du 135, tiré par salves de trois et dont la précision donnait à réfléchir. Le téléphone est coupé, nos mitrailleuses mises hors de service l’une après l’autre, et le lieutenant de vaisseau Ferrat en est avisé à la Vache-Crevée par un homme de liaison. Il y a un peu d’accalmie vers midi. Mais, vers 4 heures du soir, le vacarme recommence. Notre artillerie tente une timide riposte. Il faut se représenter cette lutte sans analogue sur aucun autre point de notre front, dans des carcasses de fermes à demi submergées par l’inondation, qui ne laisse subsister entre les hachures des canaux que quelques minces langues de terre, tremblantes chaussées où le pied hésite à s’engager. Nul défilement naturel. À chaque instant un obus crève le mince parapet de briques et de gravats dont on a essayé de garantir les pseudo-tranchées ouvertes le long des watergangs ; un projectile plus puissant défonce ce qui restait du fortin dont les sacs de sable coulent à l’eau, comme des entrailles qui se vident. La position, face au pont de l’Union et sous son feu, serait complètement intenable, si les Boches, nos prédécesseurs, n’y avaient creusé un abri de bombardement. L’enseigne Rollin, qui y avait déjà fait descendre ses blessés, y « entasse » à la hâte ses hommes valides.

« Lui reste près de l’ouverture, dit le lieutenant de vaisseau Cayrol, tant pour mieux surveiller les mouvements de l’ennemi que par simple devoir d’officier, toujours au poste le plus dangereux. C’est à cet endroit qu’il fut frappé à 4 heures du soir, par les éclats d’un obus qui explosa près de lui : trois blessures à la poitrine, une blessure aux deux yeux. »

L’enseigne Rollin était aveugle. Il voulut néanmoins garder son commandement. Du coin de mur où on l’avait adossé, il continuait à donner des ordres et ne pliait pas quand tout avait cédé. Le tir ennemi, qui s’était étendu peu à peu à toute notre ligne, devenait de plus en plus rapide et précis. À 6 heures du soir, dans la tranchée A, où se tenait l’enseigne Boissat-Mazerat avec sa section, « trois gros obus tombent coup sur coup, » couvrant les hommes « de boue, de mitraille et d’eau : » trois éclats atteignent Boisserat-Mazerat aux reins et au cœur dans le moment où, doucement ironique, comme à son habitude, il plaisantait avec ses hommes pour les récon-